IL Y A TRÈS EXACTEMENT TROIS ANS, la Villeneuve, un quartier grenoblois, se rendait (tristement) célèbre par ses émeutes. Conçue au moment des Jeux Olympiques de 1968 comme un quartier avant-gardiste, réunissant élite intellectuelle et populations en difficulté, la Villeneuve a progressivement mué en une authentique Zone Urbaine Sensible (ZUS). C’est là que se situent deux des cinq Centres de santé que gère l’Association de gestion des centres de santé de Grenoble (AGECSA). Alors que les ZUS ont aujourd’hui de plus en plus du mal à maintenir une offre de soin, l’AGECSA tient depuis 40 ans sans trop de difficultés son offre dans cette même Villeneuve, souvent théâtre de violences. Ce constat, en apparence paradoxal, a interpellé l’association qui a souhaité en comprendre les origines.
Début 2013, l’AGECSA a lancé une étude avec l’ERIS, l’Équipe de Recherche sur des inégalités sociales, dirigée par le sociologue Serge Paugam. Une restitution de la première phase de ce travail s’est récemment tenue à Grenoble. Récapitulatif des premières conclusions ayant porté sur des entretiens avec 12 des 30 professionnels des centres de soins de Villeneuve et avec 12 patients.
Les patients apprécient la prise en charge en équipe, l’écoute et la liberté de choix
Si la pré-étude n’a pas encore réuni un échantillon parfaitement représentatif des patients, reconnaît le Dr Pierre Micheletti, le président de l’AGECSA, certaines observations interpellent déjà. « Nos patients disent souvent : C’est une équipe qui me prend en charge. Quand mon médecin ou infirmière ne sont pas là, un collègue les remplace et il connaît bien le dossier », note-t-il. La liberté de changer de soignant au sein d’un centre, sans être jugé, est bien perçue tout comme la qualité de l’accueil par les secrétaires est aussi plébiscitée. De par leur connaissance des patients et des soins, elles ont un rôle de régulation, reconnu et apprécié.
Des professionnels y trouvent leur compte !
Si AGECSA a la chance de ne pas connaître de problèmes de renouvellement de son personnel, c’est loin d’être le cas pour tous les centres de soins des ZUS. Les réponses à la question qui s’est imposée au cours de l’étude - Qu’est-ce qui vous motive pour travailler dans un cartier si peu attractif - peuvent intéresser largement au-delà de la Villeneuve et de Grenoble.
Honnêtes, les professionnels avouent avoir accepté l’embauche de manière... intéressée. « Nos salaires sont sans comparaison avec une activité libérale, mais les femmes qui constituent 80 % de nos rangs apprécient la gestion du temps de travail que permet le salariat. Cependant, à la longue, notre personnel dit avoir trouvé d’autres sources de motivation, plus éthiques. En premier lieu, ils apprécient notre manière démocratique de pratiquer la médecine, avec un travail d’équipe très prononcé, sans un leader institutionnalisé. C’est important pour tous, médecins, comme secrétaires. Cette identité en équipe permet aussi de faire bloc face à la difficulté. La gouvernance se fait avec la CME élue et c’est un véritable deuxième rideau démocratique qui fait en sorte que tout le monde a une place dans l’organisation générale », récapitule le Dr Micheletti.
Un autre aspect satisfait tout particulièrement les médecins : ils peuvent prendre du temps pour la consultation et la prise en charge ! Cela permet aussi d’aborder la prévention, avec une consultation qui devient réellement globale. C’est d’autant plus important, que les thèmes de prévention récurrents et conjoncturels sont nombreux : santé mentale, obésité, langage, précarité, addictions, gériatrie, diabète, politiques de santé publique, planning familial... Si cela est possible, c’est parce que l’organisation globale est très aidante et que le salariait n’est pas indexé sur le nombre d’actes.
La protection : un effet « No man’s land ».
« On n’a jamais eu de violence physique auprès des professionnels. L’incivilité en salle d’attente m’a déjà emmené à exclure des patients, en les dirigeant vers d’autres médecins. Curieusement, ce refus de prise en charge est très respecté et jamais discuté, malgré la violence ambiante », décrit le président de l’AGECSA.
L’étude se poursuit, mais déjà le Pierre Micheletti conclut sur le volet sécurité : « On a une image assez impressionnante sur le cartier. Nos infirmières tournent dans les barres d’immeubles jusqu’à 20 h-21 h. Elles n’ont jamais eu de souci ! Nous sommes dedans géographiquement, mais de fait nous sommes en dehors, pas perçus comme du local. Cela nous permet de recevoir tous les patients, y compris ceux victimes de violences locales et ceux à l’origine de ces mêmes problèmes. Au final, l’équilibre entre incivilités et gratifications est très positif : nous recevons bien plus souvent des sourires et des gâteux, que des injures. »
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