Malgré leur présence croissante dans les peintures, les plastiques ou encore les additifs alimentaires, les nanomatériaux restent mal évalués, bénéficient d’une classification inadéquate et d’une mauvaise traçabilité. Tel est l’amer panorama dressé par l’expertise collective présentée jeudi de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, environnement, travail (ANSES). Selon Dominique Gombert, directeur de l’évaluation des risques de L’ANSES, « On a du mal à pointer les produits dans lesquels des nanomatériaux sont présents. » Les référentiels imposés aux industriels pour déclarer la présence de nanomatériaux sont en effet très génériques. Et pourtant, le risque sanitaire est bien réel, des études bio-cinétiques ont montré la persistance des nanomatériaux dans l’organisme, ainsi que leur capacité à passer les barrières physiologiques. Des articles récents ont par ailleurs démontré la capacité des nanoparticules à franchir la barrière placentaire, empêchant une embryogénèse normale chez l’animal. La prédiction de tels effets est compliquée, car la structure de certains nanomatériaux sont susceptibles de se modifier au contact des fluides biologiques.
Une majorité de nanomatériaux importés
La France fait figure de pionnière en matière de déclaration depuis la mise en place du dispositif R-Nano qui contraint les fabricants, importateurs et les distributeurs à déclarer, annuellement auprès du ministère chargé de l’Environnement, l’identité les quantités et les usages de ces substances ainsi que l’identité des utilisateurs professionnels à qui elles ont été cédées. Ainsi, en 2012, 500 000 tonnes de substances à l’état nanoparticulaire ont été déclarées et mises sur le marché en France, dont 280 000 produites en France, et 220 000 importées. Le noir de carbone, employé dans les BTP l’imprimerie, les peintures et les pneumatiques, est le plus représenté avec près de 275 000 tonnes.
Au niveau européen, et international, il n’existe pas de consensus quant à une terminologie commune des nanomatériaux qui faciliterait leur traçabilité, pas plus qu’il n’existe de protocole standard pour les tests de toxicologie et d’écotoxicologie. Des discussions sont néanmoins en cours au Parlement européen pour élargir l’initiative française R-nano à l’ensemble de l’Union.
Seulement 10 % des études sur les risques sanitaires
« Il faut absolument que la réglementation soit renforcée, et que les définitions évoluent », a martelé Dominique Gombert. L’ANSES souhaite notamment que la mise sur le marché des nanomatériaux soit encadrée selon la réglementation européenne CLP, employée pour l’étiquetage, la classification et l’empaquetage des substances et des mélanges et par REACh qui réglemente les produits chimiques. Un tel cadre réglementaire ouvrirait la porte à des restrictions d’usage, voire des interdictions, mais resterait lettre morte si les études de toxicité des nanomatériaux ne sont pas aussi plus nombreuses et mieux conduites. Selon Dominique Gombert, « seulement 10 % des études sur les nanomatériaux sont dédiées au risque sanitaire, les autres détaillent surtout les bénéfices technologiques attendus ».
La tâche est rendue plus ardue par la fantastique variété des nanomatériaux et de leurs utilisations. « Deux nanomatériaux d’une même famille, comme le titane par exemple, n’auront pas le même effet dans l’organisme et ne se fixeront pas dans les mêmes organes selon leur concentration et leur utilisation », explique Fabrice Nesslany, chef du service de l’Institut Pasteur de Lille.
D’ici à la fin de l’année, l’ANSES va mettre sur pied un outil chargé d’évaluer les risques de chaque produit contenant des nanomatériaux en fonction du degré de toxicité connu d’une part, et de la manière dont le public est exposé d’autre part. Une telle exposition sera forte avec une crème cosmétique, mais beaucoup plus faible sur les nanomatériaux est inclus dans une matrice solide.
Selon Gérard Lafargues, directeur général adjoint de la direction scientifique de l’ANSES, « un tel outil serait utile pour établir des groupes à suivre dans le cadre d’études épidémiologiques menées par l’InVS ». Pour l’heure, les tests de toxicités des nanomatériaux suivent un « menu » générique de tests OCDE commençant par un test de mutagénèse, le test OCDE 471, sur des bactéries.
Un demi-siècle de travaux rien que pour évaluer l’existant.
Des tests supplémentaires sont pratiqués si besoin sur des cellules ou des organismes plus importants. Or cette approche n’est « pas du tout adaptée aux nanoparticules », explique Fabrice Nesslany, qui rappelle à titre d’exemple que « les bactéries ne sont pas capables d’internaliser des nanoparticules. L’OCDE a récemment reconnu qu’il faudrait changer ces tests pour le cas particulier des nanomatériaux, mais cela prendra beaucoup de temps ». En outre, la vitesse de l’évaluation est loin de suivre l’allure endiablée de l’industrie : « Au rythme actuel des études, il faudrait 50 à 60 ans rien que pour étudier correctement les nanométériaux déjà sur le marché », regrette Fabrice Nesslany.
Le dernier grand défi de l’évaluation de nanomatériaux passe donc par la connaissance plus approfondie de l’impact de la taille, de la forme et de la formulation de nanoparticules sur la santé, ce qui permettrait de savoir immédiatement quel type de toxicité rechercher. À plus long terme, des études in silico pourraient même permettre de mesurer l’impact sanitaire de nanomatériaux avant même la fin de leur mise au point.
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