Alors que la réglementation européenne prévoit depuis 2018 l’exclusion du marché des substances pouvant avoir des effets de perturbation du système endocrinien, certains pesticides, pourtant repérés par l’Autorité européenne de sécurité de l'alimentation (Efsa) comme perturbant l’axe thyroïdien, sont toujours autorisés, dénoncent les associations Générations futures et Alerte des médecins sur les pesticides (AMLP).
À l’occasion de la Semaine des alternatives aux pesticides (du 20 au 30 mars 2022), elles rendent public un rapport où sont scrutées les modalités d’évaluation de ces substances. Les dossiers d’évaluation de 13 substances*, dont les autorisations arrivaient à terme en 2021, ont été examinés. Toutes les substances concernées sont considérées par l’Efsa comme perturbant l'axe thyroïdien dans une étude de 2013 et toutes ont été retrouvées dans l’alimentation par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Des évaluations à partir de données « obsolètes » et partielles
Il ressort de cet examen plusieurs lacunes listées dans le rapport. Les dossiers remis par les industriels sont « souvent obsolètes » avec des études datées. Ils ne comportent pas de revue « exhaustive » de la littérature internationale. Seul un dossier sur deux comprend des dosages hormonaux et un seul contient une étude sur le neurodéveloppement.
Les périodes de susceptibilité, comme la grossesse par exemple, ne sont par ailleurs pas prises en compte. Et les tests validés par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) « ne sont pas conçus pour mettre en évidence des effets de perturbation endocrinienne (effets à faible dose et relations dose-réponse non-monotones qui caractérisent la perturbation hormonale) », lit-on.
Malgré ces défaillances, « 8 substances sur les 13 étudiées ont bénéficié d’une extension administrative, prolongeant sans réexamen les autorisations de 4 à 6 ans », a déploré, lors d’une conférence de presse, le Dr Rémy Mazurier, membre d’AMLP qui a participé à la rédaction du rapport.
Pour justifier cette situation, l’Efsa, sollicitée par les auteurs, argue que le processus d’élaboration de ces dossiers a débuté avant l’adoption du règlement de 2018. « La Commission européenne a donc demandé à l'Efsa de réaliser des évaluations supplémentaires », mais l’instance européenne « n’a malheureusement pas souhaité nous préciser les éléments » demandés aux industriels, explique le rapport.
Une situation inacceptable d’un point de vue sanitaire
Ainsi, près de quatre ans après l'adoption de la réglementation européenne, les autorités en charge de l’évaluation « attendent toujours les données nécessaires à sa mise en œuvre (de la part des industriels) et les tests validés permettant la mise en évidence de mécanismes caractéristiques de la perturbation endocrinienne », conclut le rapport. « Les décisions réglementaires sont donc prises à partir de données insuffisantes. Les signaux existent mais sont ignorés », s’agace le Dr Pierre-Michel Périnaud, président de l’AMLP, jugeant la situation inacceptable d’un point de vue sanitaire.
Pour inverser la tendance, les deux associations réclament plusieurs mesures. Elles souhaitent d’abord l’adoption d’une catégorie de perturbateurs endocriniens « suspectés » (comme c'est le cas pour les substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction dites CMR), alors que le niveau de preuves exigé pour un classement comme « connus » et « présumés » est jugé trop élevé pour être atteint. Elles appellent ensuite à la fin de l’extension « automatique » des homologations « sous prétexte de données scientifiques manquantes pour l’évaluation des perturbateurs endocriniens ». Elles réclament enfin la transparence sur les données disponibles de l’Efsa.
« Il est de la responsabilité de l’Union européenne (UE) de corriger au plus vite la situation. Elle concerne les pesticides perturbant l'axe thyroïdien mais aussi probablement beaucoup d'autres substances ayant ces propriétés. C'est pourquoi nous attendons que la présidence française de l'UE impulse un certain nombre de mesures fortes comme le lui a demandé la vingtaine d'associations qui ont soutenu nos demandes », interpelle François Veillerette, porte-parole de Générations Futures.
*Cyprodinil, fenbuconazole, mépanipyrim, pyriméthanil, ziram, spinosad, cyproconazole, myclobutanil, diéthofencarbe, fénoxycarb, boscalid, folpel, métribuzine
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