Philippe El Saïr (SNCH) dénonce une guerre « factice »

Publié le 29/04/2009
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LE QUOTIDIEN – Les médecins viennent de défiler en masse à Paris. Le futur « patron » de l'hôpital cristallise une bonne part de leur mécontentement. Cette opposition au pouvoir des directeurs finit-elle par devenir lassante ?

PHILIPPE EL SAÏR – Ce qui est surtout lassant, c’est le décalage complet entre ce discours national et la réalité du terrain, où les directeurs et les soignants travaillent en totale confiance et le plus souvent dans une grande complicité. Cette guerre que certains essaient de mettre en scène relève du fantasme, ça n’est pas la vraie vie.

Mais cela pourrait le devenir si la loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoires) était mise en œuvre ?

On entend les médecins mécontents dire « Je n’ai pas de problème avec mon directeur mais… » et on finit par se demander où est la difficulté. Il est où, le problème, puisque les médecins ne citent pas de relations dégradées avec leurs directeurs ? Je pense qu’on est dans un basculement culturel et dans la peur.

Que vous inspirent les expressions « gestion comptable » ou « hôpital entreprise » régulièrement employées par les contestataires ?

Ce sont des slogans, des chiffons rouges. Ces expressions sont faites pour empêcher l’opinion de réfléchir mais elles sont creuses, elles n’ont pas de contenu. Les directeurs d’hôpital sont des hommes et des femmes de santé publique. Leur travail est de permettre aux talents – y compris médicaux – qu’ils recrutent de s’exprimer.

Face à la fronde médicale, on entend finalement très peu les directeurs. Pourquoi cette discrétion ?

Il y a plusieurs explications. Et d’abord la volonté de ne pas crédibiliser l’opposition directeurs-médecins que nous trouvons factice. Et puis il y a l’analyse de la loi. Ce texte fait tendre les directeurs d'hôpital public vers les prérogatives qui sont celles depuis toujours des directeurs des établissements PSPH [privés participant au service public hospitalier, NDLR]. Que font ces directeurs ? Ils décident du recrutement et proposent des contrats aux médecins, et cela vaut dans des établissements minuscules. Or à l’hôpital, on n’ira pas aussi loin. Il y aura un processus de nomination très partagé : le directeur se verra « proposer » des nominations qu’il prendra en compte après avis du président de la CME [commission médicale d’établissement]. C’est déjà trop ! Comme si l’objectif ultime était de ne rendre compte à personne.

La loi Bachelot donne au directeur d’hôpital un pouvoir de veto, pas un pouvoir de diktat. Dans le même temps, elle accroît le pouvoir de certains responsables médicaux, comme les chefs de pôles, et ça, ça dérange. De la même façon, le président de la CME qui ne sera plus lié par les avis de sa CME sur les situations individuelles pourra prendre un poids très important, au point de devenir s'il le souhaite un directeur médical. Ces évolutions sont indispensables mais elles gênent les petites féodalités.

C’est à cela que se réduit selon vous la crise actuelle, des « petites féodalités » défendant leur pré carré ?

Il s’agit de cela pour partie oui, et pour partie de peurs. J’observe sur le terrain que le monde médical vit un basculement générationnel et culturel, que les jeunes médecins veulent que l’hôpital change et bouge, qu’ils espèrent qu’un certain nombre de blocages ne seront pas éternels, qu’ils jugent pesante une certaine hiérarchie médicale et que cet exercice désuet du pouvoir médical est une des raisons pour lesquelles les jeunes médecins quittent le CHU pour aller en CH ou en cliniques privées. Je ne suis pas sûr que le service soit l’alpha et l’oméga de l’hôpital du XXIe siècle. En tant que lieu de coordination clinique et de formation, il est indispensable ; en tant que lieu d'exercice d'un pouvoir absolu, c'est-à-dire impossible à dépasser, il n'est plus acceptable.

Peut-on sortir de l’impasse actuelle ?

En prenant du recul face à une certaine dramatisation nationale et en analysant les choses à partir de ce que nous vivons sur le terrain, oui.

 PROPOS RECUEILLIS PAR KARINE PIGANEAU

Source : lequotidiendumedecin.fr