Les souvenirs du Dr Gérard Porte

Plaidoyer médical pour les cyclistes

Publié le 30/06/2011
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PARMI toutes les équipes engagées dans le Tour de France, il en est une dont la cohésion n’a jamais été ébranlée par les tensions de l’épreuve : l’équipe médicale, appelée dans la caravane « la secte ». Mais, confie Gérard Porte, « ce surnom ne nous a jamais gênés, tant nous formions un groupe solidaire et soudé, sur lequel chacun savait pouvoir compter ». Quand il est recruté comme infirmier en 1972, alors qu’il était en 4e année de médecine, « la secte » comptait trois médecins, deux ambulanciers, deux infirmiers et un pilote, avec seulement trois véhicules. Quatre décennies plus tard, elle comprend trois médecins pour la caravane, cinq pour la course, une infirmière, une kiné ostéopathe, six ambulanciers, deux pilotes pour les voitures, un motard et un bagagiste. À bord de son cabriolet de légende, où il embarque pour suivre les étapes des invités people et politiques, avec son stock de pommades, compresses, pansements, désinfectants, attelles, stéthoscope, saturomètre, otoscope et défibrillateur, le médecin-chef administre les soins d’urgence probablement les plus acrobatiques de la profession : penché assez bas hors de la voiture, pose d’un pansement sur orteil, application d’une pommade au niveau du périnée, administration de gouttes dans l’œil, tout cela à 40 km/h et par grands vents, de quoi ravir les cadreurs et le public. Mais les médecins du Tour, aux compétences très diversifiées (tous médecins du sport mais en même temps généralistes, urgentistes, anesthésistes réanimateurs, cardiologues, néphrologues et même… gynécologues) n’ont pas le temps de prendre la pose : ils prennent en charge à chaque Tour 200 cyclistes, mais assurent aussi l’assistance médicale de 4 000 à 5 000 suiveurs. Soit 1 500 consultations à chaque Grande Boucle.

Année après année, le Dr Porte documente ses observations épidémiologiques : « Nous avons une première semaine avec de nombreuses chutes, constate-t-il, notamment au cours des sprints. La deuxième semaine est de transition, avec quelques bobos, quelques chutes, un début de fatigue. La troisième semaine surviennent les problèmes liés à l’épuisement, à la chaleur, à la fatigue accumulée. C’est celle des tendinites, des diarrhées, des bronchites, des maux de gorge, des crampes… »

Selon les statistiques du Tour, pas plus de trois à cinq fractures sont dénombrées par édition, à la suite de chutes qui impliquent pourtant bon nombre de coureurs. C’est la clavicule qui arrive en tête des lésions touchées, devant le scaphoïde, les métacarpiens et les côtes. Les coureurs, en tenant le guidon à deux mains, tombent souvent sur l’épaule, quitte, s’ils en ont le temps, à mettre la main pour amortir le choc, le poignet étant alors traumatisé. Mais cinq fractures pour 600 000 km parcourus par l’ensemble du peloton, c’est un score très faible, se félicite le médecin-chef, qui n’a eu à déplorer qu’un décès dans toutes les éditions qu’il a suivies, soit 20 millions de km parcourus par tous les coureurs réunis.

Des hommes solides.

Si l’accidentologie du cyclisme est généralement bénigne, c’est, explique le Dr Porte, « parce que les coureurs sont des personnages solides, physiquement et psychologiquement. » Ils sont jeunes et en bonne santé, et ils récupèrent rapidement. Alors que chez le commun des mortels on laisse les points de suture huit à dix jours, ils peuvent souvent être retirés dès le quatrième jour chez un champion. Parmi les exceptions physiologiques qu’il a relevées, le médecin-chef a souvent constaté qu’une tension basse, comme 9/5, inquiétante chez l’adulte en bonne santé, pouvait paradoxalement être un bon signe chez un cycliste apparemment en forme.

Tout au long du livre, le Dr Porte exprime son respect pour les professionnels de la course. Ils couvrent de 30 000 à 40 000 km par an par toutes les conditions, grâce, assure-t-il, à une hygiène de vie très rigoureuse, diététique, horaires de repos, programmes d’entraînement très élaborés. Ce « sont des sportifs raisonnables et responsables (...) Pas besoin de faire la police en permanence, alors que dans d’autres sports il faut empêcher l’athlète de boire de l’alcool ou d’aller en discothèque. » Bref, à en croire leur médecin du Tour, en se levant et en se couchant, en évitant tous les écarts et en mangeant équilibrés, avec « une intelligence ou un instinct supérieurs à la moyenne », les cyclistes sont « sages ».

Reste bien sûr ce que Gérard Porte appelle « l’éternel problème » : « L’histoire du cyclisme, c’est une évidence, convient-il, est jalonnée de problèmes de dopages. Mais on oublie, plaide-t-il, que c’est le premier sport qui s’est réellement intéressé au sujet. Et qui a mis en place les moyens pour lutter contre le fléau (...) Le vrai problème du dopage est qu’il est efficace. ».

« Médecin du Tour », Albin Michel, 328 p., 18 euros.

CHRISTIAN DELAHAYE
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Source : Le Quotidien du Médecin: 8992