Alors que l'accès à la pornographie est d'une simplicité enfantine, l'Académie nationale de médecine appelle à repenser l'éducation à la sexualité à l'école dans un rapport publié ce 30 janvier.
La rue Bonaparte s'est penchée sur le sujet à la demande de la Haute Autorité de santé, elle-même interpellée par la Confédération nationale des associations familiales catholiques.
Un phénomène croissant
Les données manquent et sont disparates pour mesurer l'accès (quand le visionnage est volontaire) ou l'exposition (quand il est involontaire ou contraint) à la pornographie, en France comme à l'étranger, mais le phénomène semble croître, avec la généralisation de l'accès à internet, et toucher davantage les garçons, dès 13 ans, et surtout au lycée.
Selon les données françaises de l’étude européenne Espad qui date de 2003 et porte sur un échantillon de près de 10 000 adolescents âgés de 14 à 18 ans, 80 % des garçons et 45 % des filles ont déjà eu accès à des contenus pornographiques essentiellement à la télévision à cette époque. Les garçons seraient plus de la moitié (54 %) à en avoir une perception plutôt amusée, tandis que 56 % des filles expriment du dégoût.
Données plus récentes : un sondage Ipsos réalisé en février 2017 pour l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique sur un échantillon représentatif de 1 005 adolescents et adolescentes de 15 à 17 ans, rapportant des informations démographiques sur les jeunes consommateurs. Il s'agit majoritairement de garçons, avec une sur-représentation des homosexuels et bisexuels, des adolescents scolarisés en zones d'éducation prioritaire (ZEP), des étudiants (devant les collégiens et les lycéens), et des jeunes ayant déjà eu un rapport sexuel.
À noter, la moitié des adolescents interrogés (53 % des garçons et 52 % des filles) a été exposée involontairement à la pornographie. « C'est désormais la pornographie qui vient aux jeunes, et non une démarche volontaire », lit-on.
Des répercussions ambivalentes sur la sexualité
Que sait-on des conséquences de la pornographie sur les jeunes ? Selon le rapport de l'Académie, il y a consensus pour dire qu'elle joue sur la manière dont ils appréhendent leur sexualité et celle de leurs pairs. Et ceci de manière ambivalente.
Certains auteurs et travaux rapportent des effets positifs : éducation à la sexualité ludique, sachant que la majorité des jeunes ont conscience que ce n'est pas la vraie vie, plus grande ouverture d'esprit, vie sexuelle plus riche et diverse. Ainsi, selon le sondage Ipsos de 2017, 48 % des garçons et 37 % des filles considèrent que la pornographie a participé à leur apprentissage de la sexualité. Cette influence est vécue de manière plutôt positive chez 15 % des garçons et 12 % des filles, plutôt négative chez 12 % des garçons et 18 % des filles, et neutre ou sans influence dans les autres cas.
Par ailleurs, aucune association n'a été retrouvée entre exposition à la pornographie et âge du premier rapport sexuel, non-respect du consentement d'une fille, ou risque d'agression sexuelle.
D'autres études font état d'une sexualité détachée d'une composante relationnelle, du renforcement des stéréotypes de genre (promotion du plaisir masculin et de la performance, objectivation de la femme, banalisation de la fellation et de la sodomie), d'une certaine prise de risque (acceptation rapide du rapport sexuel, avec moins de préservatifs, sextos et sextapes). Des associations entre exposition précoce à la pornographie et conduites à risque (alcool et drogues) et violence sont retrouvées, mais sans qu'on puisse démontrer une causalité.
Enfin, l'essor des réseaux sociaux risque de favoriser le cyberharcèlement, mais aussi le sexting secondaire (envoi de photos de nu à d'autres personnes), l'addiction à la pornographie, la prostitution des mineurs, ou encore le chemsex (pratique du sexe sous produits psychoactifs).
Impliquer les médecins scolaires et de ville
Plusieurs experts auditionnés par l'Académie ont souligné les difficultés pour l’Éducation nationale à assumer son message éducatif concernant la sexualité et la nécessité de le faire évoluer pour prendre en compte la révolution numérique et ses conséquences. Déjà en 2015, le Haut Conseil à l’égalité rapportait que 25 % des écoles ne proposaient aucune action d’éducation à la sexualité malgré leur obligation et que lorsqu’elles le faisaient, l’information proposée était très médicalisée et normée par rapport aux stéréotypes de genre. Malgré un site à jour, « l’enseignement est trop dilué, les formations à la pédagogie et/ou à l’éducation sexuelle trop limitées, les connaissances sur les réseaux sociaux et leurs usages nouveaux mal intégrés, et la médecine scolaire totalement absente », tance l'Académie.
Elle recommande donc de repenser l'éducation à la sexualité à l'école, en associant la médecine de ville et les médecins scolaires. « Cette promotion de l'éducation à la sexualité devrait être incarnée, ne pas reposer sur une offre exclusivement en ligne ou par envoi de circulaires », précise le rapport. Les parents devraient être intégrés notamment pour les sensibiliser aux nouveaux médias, en ce qu'ils modifient la sexualité et comportent des risques de cyberharcèlement ou d'hameçonnage.
L'Académie recommande aussi promouvoir la recherche (qualitative et quantitative), en population générale et ciblée. Elle suggère de mener des études de terrain pour s'assurer de la bonne mise en application des politiques publiques dans le domaine de la pornographie.
Les responsables politiques devraient avoir à cœur de corriger les disparités territoriales en termes de lieux d'accueil pour victimes, et de généraliser les lieux de prise en charge spécialisée pour les conduites addictives associées (chemsex, consommation excessive de pornographie).
Enfin, tous les acteurs de l'industrie des nouvelles technologies devraient se mobiliser pour faire évoluer la réglementation, tandis que les moyens de lutte contre la cyberpornographie, les organismes de contrôle et la vérification de l'âge pour l'usage des réseaux devraient être renforcés.
L'Angleterre légifère
Hasard du calendrier, un autre rapport publié ce 31 janvier en Angleterre alerte sur la normalisation de la violence sexuelle dans la pornographie en ligne et ses répercussions sur la jeunesse. Près de la moitié des jeunes britanniques considèrent que les filles s'attendent à de la violence dans les rapports, et 42 % qu'elles aiment cela, selon cette enquête réalisée en Angleterre auprès de 1 000 jeunes entre novembre et janvier, à la demande de la commissaire à l'enfance Rachel de Souza.
Un enfant sur 10 a vu de la pornographie à l'âge de 9 ans, ainsi que la moitié des adolescents de 13 ans. Avant l'âge de 18 ans, près de 8 jeunes sur 10 ont vu de la pornographie violente impliquant des actes sexuels coercitifs, dégradants ou douloureux, la plupart du temps contre des femmes. Près d'un jeune sur deux âgé de 18 à 21 ans a subi un acte sexuel violent, surtout les filles.
Le Parlement britannique débattra dans les prochains jours du projet de loi sur la sécurité en ligne, qui impose d'importantes exigences de vérification de l'âge sur les plateformes. D'après cette enquête, c'est sur Twitter (41 %) que les jeunes ont le plus vu de pornographie. Viennent ensuite les sites spécialisés (37 %), Instagram (33 %), Snapchat (32 %) et les moteurs de recherche (30 %).
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