Face aux victimes de torture – des patients dont le vécu est peuplé de violences, de deuils multiples, d’exil et bien souvent d’exclusion plus que d’accueil – « il est fondamental d’abandonner les réflexes routiniers et de reconsidérer les automatismes de sa pratique »
, explique Agnès Afnaïm, médecin généraliste au Centre Primo Levi. C’est une problématique qui a été discutée lors du dernier colloque organisé par cet organisme associatif parisien, constitué en 1995 afin de pouvoir prodiguer soins et assistance à ces populations en grande souffrance.
Si « l’impudeur fait partie intégrante de notre profession », comme le reconnait Halima Zeroug-Vial, psychiatre et responsable du réseau Samdarra (Santé mentale, précarité, demandeurs d’asile et réfugiés en Rhône-Alpes), alors comment aborder l’examen clinique de ces personnes dont l’intégrité personnelle a été gravement entamée ? Pour A. Afnaïm, il convient de ne rien bousculer, même si l’urgence de soulager s’impose comme une évidence : « Il faut que la première rencontre soit mutuelle. Ecouter plutôt qu’interroger. Ne pas se précipiter pour glaner des informations sur les violences subies et dire au patient qu’il présente une réaction normale à une situation qui ne l’est pas ».
Le double tranchant de la langue maternelle
Il n’y a évidemment pas de recette. Tous le disent. Chaque patient porte en lui sa propre histoire, qui nécessite une approche singulière. Si le recours à un interprète est souvent indispensable, cela peut s’avérer parfois délétère : « Certains patients ne supportent pas leur langue maternelle pour des raisons liées au trauma ou par crainte de transgresser des normes culturelles avec un traducteur qui partage les mêmes codes sociaux qu’eux », expose Thierry Baubet, pédopsychiatre à l’Hôpital Avicenne (Bobigny).
L’intégration de la dimension culturelle de chacun est une préoccupation que beaucoup de praticiens ont exprimée lors du colloque, mais « bien qu’elles soient incluses dans la pratique, ces différences culturelles ne doivent pas être surdramatisées », estime A. Afnaïm. D’autant que, comme le rappelle H. Zeroug-Vial, « le fait de s’exprimer dans une autre langue, lorsque la personne est en capacité de le faire, peut dans certains cas lui permettre de prendre de la distance et faciliter la libération de la parole ».
Attention aux examens complémentaires
A moins qu’ils ne soient absolument indispensables et de première urgence, les examens complémentaires doivent parfois être différés ou abandonnés temporairement. « Tout comme l’examen clinique peut être reporté au moment où la confiance sera instaurée, les examens complémentaires doivent être interrogés pour s’assurer qu’ils sont acceptables pour le patient », expose A. Afnaïm. Elle ajoute que « le médecin n’est pas exempt de contribuer à la cascade violence » s’il ne pèse pas correctement le caractère supportable ou non de ces actes souvent invasifs, ou pour le moins intrusifs.
L’exemple des « radiographies administrées de force et de manière récurrente aux prisonniers politiques dans certains pays de l’Est », rapporté par Pascal Revault, directeur opérationnel et médecin coordinateur du Comité médical pour les exilés (COMEDE), est une parfaite illustration d’un examen à priori banal qui peut revêtir un caractère violent. Pour autant, « je reste évidemment médecin et certains actes sont indispensables », tempère A. Afnaïm qui rappelle, dans ces cas précis, l’importance de « l’approche pluridisciplinaire qui nous aide à penser le soin à plusieurs et à accompagner au mieux le patient dans un cadre le plus sécurisant possible ».
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