DE NOS CORRESPONDANTS
° Fessenheim : les riverains divisés
Riverains immédiats de la plus ancienne centrale nucléaire de France en activité, ouverte en 1977 sur les bords du Rhin, les habitants et les médecins de Fessenheim, village de 2000 habitants du sud de l’Alsace, voient plutôt celle-ci comme une chance que comme une menace. À l’inverse de leurs voisins allemands qui, eux, la redoutent encore plus depuis l’accident de Fukushima.
INSTALLÉ depuis 1982 à Fessenheim, le Dr Jean-Louis Kress a toujours exercé au rythme de la centrale, « qui fait vivre la moitié de la population ». L’une des trois associées de son cabinet, « qui n’aurait jamais pu se développer autant sans la centrale », est d’ailleurs mariée à un agent EDF. Selon lui, « les gens ne parlent pas beaucoup des risques, même s’ils savent qu’un accident est toujours possible » et le Japon est loin d’alimenter les conversations entre les médecins et leurs patients. Il est vrai, poursuit-il, que la centrale « a fait passer le village du Moyen Âge au XXIe siècle », et que les retombées économiques sont suffisamment appétissantes pour dissuader les sceptiques – en dehors des antinucléaires militants, « qui n’habitent pas dans le secteur » –.
À Dessenheim, six kilomètres plus loin, la décontraction et le désintérêt pour le sujet sont aussi manifestes qu’à Fessenheim, constate le Dr Marcel Ruetsch, généraliste du village : « Les gens se disent que la sécurité est mieux assurée en France qu’au Japon, et personne n’est opposé au nucléaire ici », souligne-t-il, avant d’assurer avec une certaine malice : « Le collège est jumelé avec celui de Schoelcher en Martinique, et les élèves y vont régulièrement en avion… ça aide ! »
Certes, admet le Dr Kress, « nous ne savons pas vraiment ce qui se passerait en cas de tremblement de terre de forte magnitude, mais il ne faut pas se voiler la face : il y a une usine d’acide cyanhydrique non loin d’ici, dont personne ne parle, alors que les conséquences de sa destruction pourraient être dramatiques ». Persuadé que « les contrôles et la sécurité sont assurés sérieusement à Fessenheim », le médecin estime que le pire serait… la fermeture de la centrale, avec toutes les conséquences économiques et sociales qu’elle entraînerait. Ce n’est donc pas un hasard si la manifestation antinucléaire organisée le dimanche 20 mars face à la centrale, mais sur la rive allemande du Rhin, a réuni une très forte majorité d’Allemands et de Suisses, comme c’est d’ailleurs régulièrement le cas.
Un tsunami sur le Rhin ?
Car si les médecins, comme les riverains français de Fessenheim, vivent ce voisinage avec détachement, la situation est très différente de l’autre côté du fleuve. Psychiatre libéral installé depuis 1980 à Ehrenkirchen, ville de 7 000 habitants à la lisière de la Forêt noire, à 18 km de Fessenheim, le Dr Ludwig Brueggemann fait partie des 150 médecins du secteur membres de l’IPPNW, l’association internationale des médecins antinucléaires, et manifeste régulièrement contre la centrale. « Nos patients ont peur, et encore plus depuis Fukushima », explique-t-il, en relevant qu’un « tsunami » serait tout à fait possible sur le Rhin : « Le grand canal d’Alsace, qui dédouble le Rhin dans le secteur, est construit plus haut que la centrale : en cas de tremblement de terre, il pourrait se briser et la submerger totalement », dit-il. Un scénario totalement rejeté par le Dr Kress, pour qui l’eau du canal se contenterait de retomber dans le Rhin, et qui s’agace un peu de la « mode écolo » allemande et suisse.
Au-delà du risque sismique, le Dr Brueggemann souligne que l’accident nucléaire « classique » est toujours possible et juge les plans de secours totalement insuffisants. De plus, il constate que beaucoup de patients atteints de cancers, et notamment de cancers de la thyroïde, incriminent directement le voisinage de la centrale, même s’il est impossible de prouver ce lien. Il en est de même, selon lui, en ce qui concerne les leucémies de l’enfant. Seul point d’accord entre les deux praticiens, la distribution d’iode, en cas de problème, ne servirait certainement pas à grand-chose.
« Je ne comprends pas que nos confrères français soient si désinvoltes », soupire le Dr Brueggemann, qui n’a d’ailleurs aucun contact particulier avec eux, alors qu’il fréquente régulièrement les antinucléaires alsaciens. « Je pense que les médecins français, qui ont presque tous fait leur service militaire, ont été formés très différemment de nous aux risques nucléaires, et je le déplore », termine-t-il, non sans rappeler qu’il entend maintenant se mobiliser encore plus pour obtenir la fermeture de Fessenheim, comme des autres centrales nucléaires à travers l’Europe.
Rhône-Alpes : l’information se fait désirer
Avec ses quatre sites, Bugey (Ain), Saint-Alban (nord Isère), Tricastin (Drôme) et Cruas-Meysse (Ardèche), Rhône-Alpes fait partie des régions françaises fortement nucléarisées. Pour autant, certains médecins généralistes installés à proximité de ces sites font observer qu’ils ont peu, voire pas, d’informations sur les éventuelles menaces que font peser ces centrales.
LA CENTRALE nucléaire du Bugey dans l’Ain, en exploitation depuis 1978-1979, est actuellement en pleine période de maintenance avant de passer son contrôle décennal. Pierre de Haas, généraliste et responsable de la maison de santé de Pont d’Ain, située a une trentaine de kilomètres, indique que si ses confrères exerçant plus près ont « sans doute » des informations sur ce site, « ici, nous n’en avons strictement aucune ». Celles dont il dit disposer ont été obtenues « par les patients qui y travaillent » et qu’il soigne ! Selon lui, ces derniers seraient « relativement confiants », d’abord parce que la région ne serait qu’à très faible risque sismique, ensuite parce que la centrale fournit des emplois.
Le Dr de Haas, qui se souvient avoir milité contre la centrale de Creys-Malville* à la fin des années 1970, considère que l’information du public en général s’est « quand même » améliorée depuis, mais estime qu’« il reste encore un boulot fantastique à faire ».
À plus de 230 km vers le sud, se trouve le Tricastin, région naturelle et historique de la vallée du Rhône entre Drôme et Vaucluse, qui abrite l’un des plus importants complexes nucléaires français. Les 4 réacteurs du Tricastin sont situés sur une zone sismique. Le risque est jugé « faible », mais il existe. « Nous recevons le rapport annuel sur le développement durable, ainsi qu’un fascicule sur l’état de fonctionnement du site et les différents problèmes observés sur les mois écoulés, mais ce sont toujours des informations a posteriori », fait observer le Dr Jean-Luc Magnin, qui exerce à Donzère (26), une commune à 12 km du site. Depuis la catastrophe de Tchernobyl et ses retombées sur l’Hexagone, en 1986, ce généraliste pense avoir développé un certain scepticisme. Il rappelle ainsi que « la France a été le seul pays d’Europe à cacher la contamination réelle ». Selon lui, il est donc difficile de faire aujourd’hui entièrement confiance aux instances gouvernementales, « même si elles se sont beaucoup améliorées », précise-t-il à l’instar de son confrère de l’Ain.
Sujet tabou ?
Le Dr Magnin n’a pas le souvenir d’avoir entendu parler d’exercice de prévention destinés à la population en cas d’accident. Or, si cela se produisait un jour, « ce serait un gros brouhaha, faute de préparation », estime-t-il. Un certain flou, par exemple, régnerait quant à la redistribution des comprimés d’iode. Théoriquement, il appartiendrait aux mairies de l’organiser mais à l’occasion d’une récente réunion, « ces dernières ont eu l’air d’être étonné », note le médecin. Par ailleurs responsable de l’association de Sauvegarde de l’environnement du Tricastin, ce généraliste croit savoir que même si la réflexion progresse sur le plan du territoire et si les élus cherchent de plus en plus à obtenir des garanties, « le nucléaire représente une grosse industrie en France ». Et d’insister : « C’est un sujet tabou qui pose la question de savoir s’il est possible de faire du profit sans mettre en danger la qualité de surveillance. »
* Implantée en bordure du Rhône, sur la commune de Creys-Mépieu (Isère), la centrale de Creys-Malville, aujourd’hui en cours de déconstruction, appartient à la filière des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium. Elle est officiellement à l’arrêt depuis février 1998, date à laquelle le gouvernement a annoncé l’abandon de cette centrale.
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