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Dossier

Accès aux soins de santé mentale

Remboursement des consultations de psychologues : une avancée, pas la panacée

Par Coline Garré - Publié le 22/10/2021
Remboursement des consultations de psychologues : une avancée, pas la panacée

Emmanuel Macron a annoncé lui-même la généralisation du remboursement des consultations de psychologues dès 2022
AFP

Présenté comme la mesure phare des Assises de la santé mentale, le remboursement des consultations de psychologues emporte l'assentiment prudent des médecins. Si les généralistes y sont favorables, les psychiatres sont très réservés sur les modalités. Beaucoup de questions se posent sur la collaboration entre les professionnels. Et la crise d'attractivité que traverse la psychiatrie n'est absolument pas résolue.

Dossier réalisé par Coline Garré, Véronique Hunsinger et Léa Galanopoulo

Depuis le très sécuritaire discours d'Antony prononcé en 2008 par Nicolas Sarkozy, pas un président de la République n'avait consacré un discours complet à la psychiatrie. La présence d'Emmanuel Macron en clôture des Assises de la Santé mentale, le 28 septembre dernier, porteur d'un message de soutien au secteur, a d'abord rassuré les spécialistes. Mais à l'heure des comptes, ces derniers attendent toujours des moyens et des précisions. 

C'est notamment le cas au sujet de l'annonce du remboursement des consultations de psychologues, présentée par le chef de l'État comme un moyen de « prendre en charge le plus précocement possible les compatriotes en souffrance ». De fait, un Français sur cinq est touché chaque année par un trouble psychique, trois millions de personnes par des troubles sévères, selon Santé publique France (SPF), et le suicide est la seconde cause de mortalité chez les 10-25 ans. Ceci sans compter l'effet dévastateur de la pandémie : selon l'enquête CoviPrev (SPF), lors de la rentrée de septembre, 15 % des Français présentaient un état dépressif (+ 5 points par rapport au niveau hors épidémie) et 23 % un état anxieux (+10 points), 63 % déclaraient des problèmes de sommeil (+ 14) et 10 % rapportaient des idées suicidaires (+5).

Démographie en berne

Dans ce contexte, les praticiens interrogés par « Le Quotidien » saluent d'abord dans cette mesure une nouvelle offre intéressante de nature à répondre à des besoins qu'ils ne peuvent satisfaire pour cause de démographie médicale en forte tension. « En médecine générale, nous recevons beaucoup de personnes pour des motifs liés à la santé mentale qui auraient besoin de consultations longues, sur la durée. Ce que nous ne pouvons pas toujours assurer », explique le Dr Jacques Battistoni, président de MG France. « Beaucoup de patients refusent pour des raisons financières d'aller voir un psychologue. L'on peut orienter vers un psychiatre, mais ce n'est pas toujours la réponse la plus adaptée, et les délais de rendez-vous sont très longs », poursuit le Dr Battistoni. « Le remboursement des psychologues répond à un besoin hurlant, identifié depuis des années », corrobore le Dr Luc Duquesnel, à la tête de la branche généraliste de la CSMF.

Du côté des addictologues, le Dr Jean-Michel Delile, président de Fédération Addiction, applaudit lui aussi une avancée, notamment pour les personnes en difficulté sociale, nombreuses dans les files actives des CSAPA [centres de soin, d'accompagnement et de prévention en addictologie]. « Une des clefs du processus de changement dans les addictions, au-delà de l'aide technique et médicamenteuse, c'est l'accompagnement psychothérapeutique. Or notre capacité d'accueil par nos psychologues dans nos centres est limitée, et nous avons du mal à avoir des relais en ville », témoigne-t-il.

Cette offre de thérapies brèves pourrait ainsi être pertinente pour les jeunes « qui présentent des problèmes d'adaptation sans être figés dans une pathologie spécifique avérée », ou pour les personnes souffrant d'antécédents traumatiques ou d'état de stress post-traumatique, si tant est que les psychothérapeutes se forment à ces techniques (désensibilisation, EMDR, etc.). « On espère qu'une réflexion sur les techniques psychothérapeutiques les plus adaptées aux problématiques addictives pourra être développée », souligne le Dr Delile.

La place du psychiatre en question

Mais les modalités de la réforme sont-elles adaptées ? Si la prescription médicale mécontente les psychologues (lire page 14), elle est considérée comme nécessaire par les médecins. « Cela permet d'éviter le consumérisme et un allongement des délais de rendez-vous au détriment de patients qui en auraient le plus besoin », juge le Dr Duquesnel.

La place du psychiatre dans ce dispositif est en revanche un sujet de crispation. « Un généraliste ne peut pas suivre une psychothérapie sur le long terme. Il faut un psychiatre dans le parcours », recadre le Dr Norbert Skurnik, président de l'Intersyndicale de défense de la psychiatrie publique (IDEPP), qui craint par ailleurs un dispositif low cost, donnant le coup de grâce aux thérapies complexes (systématiques, familiales, psychanalyses, etc.). « C'eût été mieux que la prescription émane d'un spécialiste », abonde le Dr Michel Triantafyllou, président du Syndicat des psychiatres d'exercice public (SPEP).

D'autres, comme le Dr Michel Jurus, à la tête de l'Association française des psychiatres d'exercice privé, ne se voient pas prescrire des soins psychothérapeutiques. « Nous ne sommes pas des superviseurs ; psychologues et psychiatres sont indépendants dans leurs soins ». Et d'interpréter la réforme comme une volonté des pouvoirs publics de faire disparaître les psychiatres, au profit du binôme généraliste-psychologue ou des infirmiers en pratique avancée (IPA), pour des motifs économiques.

Une annonce, des questions

In fine, quels seront les termes de la collaboration entre généralistes, psychiatres et psychologues ? Comment le décloisonnement attendu prendra-t-il corps, avec des approches complémentaires et non concurrentes ? Tels sont les enjeux de la réussite du dispositif sur le terrain. « Le médecin traitant est en première ligne, et en fonction des indications, il pourra adresser au psychologue. Mais au moindre doute il doit adresser au psychiatre, car certaines pathologies à leurs débuts sont difficiles à repérer, et seule l'évaluation psychiatrique permet d'établir un diagnostic différentiel », alerte la Dr Isabelle Secret-Bobolakis, secrétaire générale de la Fédération française de psychiatrie. « Notre seul problème est d'être disponible pour répondre à ces demandes », ajoute-t-elle, pointant la pénurie de psychiatres.

C'est sans doute là que le bât blesse. Car de l'avis général le remboursement des psychothérapies ne résout en rien la crise que traverse la psychiatrie. « Cela peut apporter une réponse à l'afflux de personnes après le Covid-19 et contribuer à améliorer la prévention et le dépistage précoce des troubles, mais cela ne va pas désengorger les consultations des psychiatres ni améliorer l'attractivité de la profession », énonce le Dr Triantafyllou (SPEP).

De même, les 800 postes supplémentaires non médicaux prévus dans les centres médico-psychologiques (CMP) ne suffiront pas à réduire les délais. Au lendemain des Assises, une douzaine d'organisations du secteur ont déjà pris la parole pour dénoncer des difficultés majeures restées sans réponse et réclamer un vaste plan de restauration de la psychiatrie. 

Coline Garré