C’EST UN RAPPORT de l’Académie de médecine, rédigé par un non-académicien, qui a été approuvé à l’unanimité et applaudi, le 29 juin dernier. Ce document de 70 pages dresse un état du secourisme en France. On ne dispose pas de chiffres clairs, indique d’emblé le Dr Henri Julien, auteur du rapport. Mais, avec des recoupements, on peut déjà constater, en comparaison avec d’autres pays européens, le faible taux de diffusion en France des formations de secourisme. Chaque année, 750 000 Français sont formés aux premiers secours (350 000 via des associations, 400 000 au sein de leur entreprise, constat d’ailleurs intéressant). Soit 40 % de la population, quand la proportion est de 95 % en Norvège, de 80 % en Allemagne et en Autriche.
La France est donc très en retard. « Il faut expliquer aux Français que 7 à 8 % des morts sur les routes sont évitables, insiste l’ancien médecin-chef de la Brigade de sapeurs-pompiers, anesthésiste-réanimateur. Et qu’à chaque mort évitée, sont aussi associés 4 blessés graves et 16 blessés légers. Avant l’existence de la DAE (défibrillation automatique externe), on parvenait à éviter 2 % des décès. Quand les équipes de soins en ont été équipées, le chiffre a grimpé à 28 %, pour atteindre 45 % depuis que le grand public y a accès. Or, la majorité des interventions sur la route concernent le cardiovasculaire. Les trois premiers maillons de la chaîne de secours (sur 6), ce sont... les quidams. Il y a un gros travail à réaliser pour que les Français ne restent pas passifs, en se contentant d’appeler le 15 ou le 18. » Les secours mettent en moyenne 13 minutes (5 à Paris, 30 à 40 minutes dans le fin fond de la Corrèze…) pour arriver sur les lieux d’un accident. Et le rapporteur ne lâche pas : « Il faut également changer le comportement de nos médecins. En 1976, il y avait 16 000 morts sur les routes. Leur discours, c’était de ne pas toucher aux victimes. Aujourd’hui, c’est tout le contraire : "Touchez-y !". Nos confrères doivent se faire propagandistes du secourisme auprès de leurs patients (-citoyens). Et les gestes qui sauvent sont les mêmes de la Chine à l’Île de Pâques. »
Peur du tribunal.
En France, l’un des principaux freins à la progression du secourisme, et surtout à la mise en pratique effective en situation d’urgence des gestes appris, est la peur d’aggraver l’état de la victime. « Mais on ne tue pas un mort ! », ose le Dr Julien, interventionniste proclamé. Un autre frein est la peur de se retrouver au tribunal. Dans certains États américains, au Canada, en Norvège, et même en Roumanie, il existe une loi de protection du secouriste bénévole. L’article 1471 du code civil du Québec dit que toute personne qui porte secours à autrui est exonérée de toute responsabilité pour le préjudice qui peut en résulter.
Le rapport du Dr Julien prône ainsi une loi type « bon Samaritain » protégeantle témoin qui pratiquerait les premiers secours de toute poursuite civile ou pénale. Il propose également une obligation légale de formation pour toute personne responsable d’un groupe : chauffeurs de bus, contrôleurs de train, garçons de café... «Aux États-Unis, tous les employés de banque sont formés au secourisme ! »
Un décret de 2006 en France indiquait que le PSC (prévention et secours civiques) serait un prérequis pour les élèves sortant de 3e. L’Académie de médecine, elle, va jusqu’à proposer que cette formation soit associée au bac, à tout concours, tout diplôme universitaire et à la pratique d’une activité à risque. Et qu’elle soit bien sûr, obligatoire, pour les personnels de santé. Pour cela, il faut en favoriser l’accès. Aujourd’hui, le brevet de secourisme coûte entre 60 à 80 euros. Le rapport en imagine donc la gratuité, au moins pour certaines catégories sociales.
Un accès à la citoyenneté.
« Le secourisme, c’est un accès à la citoyenneté, insiste encore le Dr Julien. Il nous fait regarder autrui différemment. » L’autre suggestion phare du médecin, c’est d’instaurer un « parcours secouriste citoyen », en harmonisant les différentes formations existantes et en les inscrivant dans un continuum. Il en existe une foule, qui dépendent de tutelles différentes. Tout citoyen français aurait l’occasion d’être formé aux gestes qui sauvent, par exemple à l’occasion d’un stage de plongée (APS, académie de plongée et de secourisme), en suivant le PSC1, avec piqûre de rappel au moment du passage du permis de conduire, au sein de son entreprise, à son club de sport, au moment d’une grossesse... «On apprend aux femmes à accoucher mais pas à sauver leur bébé. »
L’ACMF (l’Automobile club médical de France) met justement en place une « task force » en envisageant notamment la rédaction d’un livre blanc. Il a été reçu par les services du Premierministre. En attendant, il propose déjà aux médecins des initiations aux gestes qui sauvent, en région. « Les médecins ont une responsabilité sociétale auprès des patients et des autorités publiques », précise le Dr Philippe Lauwick, président de l’ACMF, qui fait remarquer qu’aucune société savante n’est consacrée à la médecine routière. Une médecine, transversale qui va de la prévention à la rééducation.
Le rapport du Dr Julien est disponible sur le site de l’Académie de médecine.
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