À l’été 1969, une jeune rhumatologue et son mari journaliste effectuent un tour de France « fantastique » à la rencontre des sommités médicales et universitaires, puis des patrons des laboratoires. Philippe Tesson et le Dr Marie-Claude Millet vont réussir à convaincre des interlocuteurs plutôt sceptiques sur leur improbable projet : créer un quotidien à la croisée de la médecine et du journalisme. Et il y a juste cinquante ans paraît sur les rotatives de « Combat » le numéro 1 du « Quotidien du médecin ». Pour la première fois, Philippe Tesson dévoile la genèse du leader de la presse médicale, qui fut d’abord, confie-t-il, une histoire d’amour.
LE QUOTIDIEN : Comment est né le Quotidien du médecin ?
PHILIPPE TESSON - C’est une histoire très personnelle et assez sympathique : « Le Quotidien du médecin » commence par une histoire d’amour en 1967 : je suis journaliste, j’ai 41 ans, je suis rédacteur en chef depuis sept ans du journal « Combat », je connais donc le journalisme. Ma femme, Marie-Claude Millet a 25 ans, elle est médecin, elle connaît donc la médecine. Nous nous sommes rencontrés par l’intermédiaire d’amis communs et nous nous sommes aimés. Passionnément. Nous nous entendons très bien sur le plan intellectuel, nous partageons les valeurs fondamentales, les grands principes de vie. Bien des choses nous distinguent, mais elles participent de ce qui est secondaire, de ce qui est formel, et nous nous félicitons de nos différences, qui font que nous sommes chacun quelqu’un, comme disait le Pr Hamburger. Et nous éprouvons vite un regret, celui de faire des choses aussi dissemblables que le journalisme et la médecine. C’est ce regret qui va expliquer notre avenir commun.
Marie-Claude vient de terminer sa médecine et elle est interne à l’Hôpital de Saint Germain en Laye. Elle est rhumatologue, plus tard elle fera un certificat de médecine tropicale. Plus tard, beaucoup plus tard, elle fera dans cette matière une expérience intéressante en créant une Fondation humanitaire en relation avec l’Afrique : Équilibres et Population. Nous partageons assez rapidement une vie commune. Je constate qu’elle reçoit un nombre considérable de revues médicales, comme tous les médecins. Ce sont pour la plupart des périodiques bimensuels ou mensuels. Cette abondance me surprend d’autant plus que, hormis certaines publications scientifiques de haute tenue comme le Concours médical, ces revues publient surtout des informations générales ou des articles d’ordre culturel, beaux-arts, littérature ou divertissements. Mais elles regorgent de publicités qui, elles, sont exclusivement médicales. Cela s’explique aisément. À l’époque en effet, rappelons que nous sommes dans les années 1960, les laboratoires pharmaceutiques ont besoin de faire connaître aux médecins les médicaments qu’ils produisent, non seulement par les visiteurs médicaux mais aussi par la publicité dont la presse est un vecteur efficace. Les publicités sont un mode de formation continue particulièrement précieux pour les médecins. Je m’étonne de cette situation et nous nous disons qu’un journal plus spécifiquement médical pourrait devenir le compagnon de tous les jours des médecins en leur apportant une information complète et permanente.
« Quotidien du médecin », rien ne pouvait être plus simple que ce titre
Le projet, c’est donc, dans votre mariage à tous les deux, de marier médecine et journalisme ?
Comme disait joliment La Fontaine, « telle chose est arrivée ». C’est bien là la fonction première du journalisme que d’apprendre au lecteur que telle chose est arrivée. Telle chose en tous domaines. Tout ce qui fait la vie est information, et l’addition des informations est le meilleur lien qui puisse exister à l’adresse d’une communauté humaine quelle qu’elle soit. Telle chose principalement dans le domaine qui intéresse cette communauté. Or le corps médical est une communauté unie par des liens d’une force exceptionnelle, tissés à la fois par la pratique quotidienne, par le savoir scientifique, par la curiosité intellectuelle, par la finalité du combat contre la souffrance et contre la mort. Une telle communauté a besoin d’être liée par un journal qui est par nature le meilleur support qui rassemble les hommes. L’idée de ce journal nous est donc venue pour répondre à ces intentions, à ces intérêts, à ces attentes des médecins : les informer les rassembler, les défendre.
Au départ, vous êtes tous les deux, comment vous êtes-vous organisés ?
À moi la compétence journalistique, à ma femme la compétence scientifique. Nous appellerons ce journal « Le Quotidien du médecin ». Rien ne pouvait être plus simple que ce titre tout à fait signifiant qui résumerait la finalité et l’intention de notre projet. Je n’étais qu’un technicien de l’information, c’est-à-dire un besogneux de l’écriture, seulement capable de traduire la pensée des autres. Marie-Claude avait outre sa formation médicale une sensibilité naturelle qui lui donnait une capacité particulière à la relation et à l’expression. Elle devait très vite comprendre comment on fait un journal, et notamment un quotidien, qui demande de la rapidité et de l’empathie.
Mais hormis vos talents mutuels, vous n’aviez aucun moyen financier…
Nous n’avions pas de fortune. Nous avions avec l’argent une relation commune. Décomplexée. Et nous ne considérions pas que l’argent doive dominer les forces de l’esprit. La finalité de notre entreprise répondait d’autre part à une volonté pédagogique. Dans un premier temps nous avons entrepris de rechercher l’adhésion de notre clientèle à notre projet. Pendant un an et demi nous avons parcouru la France pendant nos week-ends et nos vacances à bord d’une petite Volkswagen pour aller à la rencontre des médecins, des chercheurs, des universitaires et aussi des journalistes. Il nous fallait apprendre et convaincre.
Qu’est-ce que ce Tour de France médical vous a appris ?
Il a été pour moi une expérience fantastique. Valéry l’a assez dit, l’esprit médical est un esprit supérieur, et particulièrement ouvert. Je l’ai alors découvert.
Mais les journalistes ne sont pas non plus des imbéciles…
(rires) Certes, mais c’est tout de même plus facile de devenir journaliste que de devenir médecin !
Comment avez-vous été reçus par les sommités médicales ?
Nous avons été très bien accueillis sur le plan humain, les échanges se passaient dans la gaieté, le charme et l’intelligence de ma femme aidant, nous suscitions la sympathie de nos interlocuteurs. Cela dit, l’accueil de notre projet lui-même restait plutôt mitigé. Nos interlocuteurs étaient souvent sceptiques, sans être franchement négatifs. En fait, nous n’étions pas pris très au sérieux. Beaucoup de nos interlocuteurs se demandaient ce que nous leur racontions ; au fond d’eux-mêmes, ils n’éprouvaient pas le besoin d’avoir un quotidien médical. Mais Marie-Claude et moi, nous ne doutions pas de la réussite de notre projet. C’était jeune, moderne, un peu fantaisiste certes et personne n’y croyait vraiment. Mais nous deux, nous étions convaincus que cela marcherait un jour.
Comment avez-vous convaincu les sceptiques ?
Nous avons repris une deuxième fois la route avec la petite Volkswagen et nous avons rencontré la quarantaine de dirigeants qui étaient alors à la tête de l’industrie pharmaceutique. Notre plan était simple : utiliser notre journal comme vecteur d’information en nous appuyant sur la publicité pharmaceutique. Cette publicité avait vocation à informer les médecins, c’était un complément de formation continue, car notre journal ne serait pas seulement un vecteur publicitaire, il aurait un contenu rédactionnel de qualité en matière scientifique, économique, sociale, etc.
Nous devions donc convaincre suffisamment de laboratoires pour pouvoir le lancer. Nous proposions aux dirigeants, aux industriels de passer un bandeau de publicité tous les jours pendant deux semaines, au moment des lancements de leurs produits. Nous avons démarré avec sept laboratoires, dont Bristol, Squibb, Boehringer, Merck etc. Ils ont tout de suite adhéré au projet. D’autres ont préféré attendre pour nous passer commande. Dans l’année qui a suivi ils devaient se décider. Je garde des amis maintenant âgés comme moi dans ce milieu. Avec ces sept pionniers, nous avons lancé le journal et au bout d’un an connu le succès. Je me rappelle que nous avons commencé avec un tirage de 45 000 exemplaires, avec 12 puis 16 pages.
Ma femme était la démiurge du journal
Qui faisait le journal ? À quoi ressemblait-il ?
Nous avons formé une équipe. J’ai entraîné une équipe journalistique dirigée par Robert Toubon, l’un de mes collaborateurs de « Combat », tandis que ma femme était en quelque sorte la démiurge du journal. Une équipe de journalistes généralistes a été formée ainsi qu’une équipe culturelle et ma femme a constitué une équipe médicale qu’elle a réussi à former très rapidement. Nous donnions la parole aux lecteurs qui adoraient s’exprimer dans nos pages.
Le journal était divisé en rubriques comme la presse généraliste classique. Plus tard la rédaction médicale du journal allait être dirigée par Alain Marié et composée de quelques journalistes, et la rédaction générale dirigée par Richard Liscia, journaliste de très grande volée, et composée de journalistes de formation sociale, économique et culturelle.
Le succès a-t-il été immédiat ?
Tout est allé très vite, en l’espace d’une année, soit 250 numéros. Le temps a joué en notre faveur. Mis à part les quolibets que nous avons essuyés de la part de certains confrères qui brocardaient ce journal nouveau venu, l’adhésion des médecins a été forte et immédiate.
Au critère intellectuel s’est ajouté un critère en quelque sorte affectif : « Le Quotidien » s’est imposé comme le défenseur du médecin dans sa condition sociale, professionnelle et éthique. Marie-Claude resta jusqu’au bout la garante de cette ambition.
C’est un journal légitimiste en quelque sorte ?
« Le Quotidien » est légitimiste quand le pouvoir en place comprend les intérêts des médecins. Mais parfois, et ce fut le cas dans l’histoire du journal, celui-ci n’a pas hésité à se lancer dans des conflits violents avec les gouvernements. L’un des plus mémorables eut lieu entre Marie-Claude et Alain Juppé, quand celui-ci était Premier ministre. L’ironie était qu’à cette époque mon journal « Le Quotidien de Paris » soutenait le même Juppé. « Le Quotidien du médecin » n’était pas inspiré par une idéologie mais par le seul souci de la défense des médecins.
Lorsque vous avez passé la main, le Quotidien tirait à 150 000 exemplaires et 82 pages avec 80 000 abonnés. Vous êtes fier d’un tel succès ?
Je suis trop orgueilleux pour être fier, je connais mes limites, je les ai atteintes sans jamais chercher à les dépasser. J’éprouve une grande joie d’avoir réussi à faire ce journal, un grand bonheur de l’avoir partagé avec une femme d’exception, un grand plaisir aussi que cela m’ait permis de réaliser d’autres projets, de créer d’autres journaux. Attention, je ne suis pas Bernard Arnault, je ne suis pas un financier, mon but n’est pas de faire mon Louis Vuitton (rires). Mon but, quand mes efforts me le permirent, ce fut encore de faire vivre « Les Nouvelles Littéraires », qui répondaient à mon tropisme théâtral et littéraire, ou « Le Quotidien de Paris » qui fut un quotidien libre.
Éprouvez-vous des regrets ?
Ni regret, ni bonheur démesuré, je n’en veux qu’à mon âge et à la disparition de Marie-Claude ma femme. Je reste heureux comme je l’ai été toute ma vie, lucide, honnête et agréable à vivre pour les autres, je l’espère. J’ai fait des gaffes parfois, mais j’ai toujours été heureux.
Vous avez eu la chance de bénéficier d’une conjoncture favorable ?
Un bon journaliste est là pour profiter de tous les contextes, fussent-ils favorables ! (rires) Aujourd’hui, je trouverais sans doute d’autres façons de communiquer pour et avec les médecins autour des autres crises qu’ils traversent. Les choses ne vont peut-être pas aussi bien qu’on le souhaiterait, mais il y a toujours des pistes à ouvrir, à explorer, avec d’autres moyens, selon d’autres modalités. Avant de passer la main, avec Marie-Claude, nous avions déjà lancé l’aventure numérique. Les moyens et la culture ne sont plus les mêmes, mais l’histoire reste à écrire et je crois que c’est une belle histoire qui se poursuit aujourd’hui sans nous, toujours à la croisée du journalisme et de la médecine.
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