AU DÉBUT des années 2000, l’on envisageait favorablement l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Nous étions quelques-uns à croire qu’elle offrait un bel exemple d’islam laïc, surtout après que l’armée turque eut destitué Necmettin Erbakan, Premier ministre islamiste (Parti de la prospérité), en 1997, parce qu’il menaçait à la fois de renverser les alliances de son pays et de le ramener au Moyen-Age. Le problème de la Turquie, c’est que l’alternative à l’islamisme, c’est l’armée kémaliste, qui n’est pas non plus une garantie de démocratie (quatre coups d’État militaire depuis la guerre). Recep Tayyip Erdogan, l’actuel chef du gouvernement, a donc fondé un parti islamiste dit modéré qui ne constitue en réalité que le succédané de celui d’Erbakan : il s’est dressé certes contre les militaires mais, en même temps, contre la laïcité.
Répression et atteintes aux libertés.
En ouvrant avec Ankara des négociations si longues qu’elles ont fini par éteindre le désir européen des Turcs et le désir turc des Européens, l’UE n’a pas vraiment encouragé la Turquie à adopter les canons de la démocratie laïque. Tout en se plaignant du traitement « humiliant » que l’UE lui réservait, M. Erdogan s’est gardé d’appliquer les préceptes qui auraient rendu son pays compatible avec l’esprit des Lumières. Dans son livre, « L’imposture turque » (1), la journaliste et écrivain Martine Gozlan, spécialiste du monde arabo-musulman, nous rappelle que 68 journalistes turcs végètent en prison, que la liberté d’expression n’existe pas en Turquie, que les kurdes et alévies sont persécutés. En matant l’armée à la faveur d’un complot probablement imaginaire, M. Erdogan a peut-être libéré la Turquie de l’emprise militaire, mais au profit de son propre parti, l’AKP et d’un pouvoir qu’il exerce sans affronter de réelle opposition, sinon celle d’un parti laïc, le CHP, et des survivants de l’épuration dans l’armée. Exaltée tous les jours par le gouvernement, la religion a submergé le kémalisme ; et la femme turque, de nouveau voilée, fait les frais du retour effréné à l’islam. L’autoritarisme alarmant d’Erdogan s’accompagne d’un virage diplomatique à 180 degrés : une quasi rupture des liens, naguère étroits, avec Israël, un rapprochement scandaleux avec l’Iran d’Ahmadinejad, une ambition régionale énorme, nourrie de nostalgie ottomane, qui s’appuie sur un développement économique remarquable mais conduit la Turquie à s’acoquiner avec les dictatures plutôt que de s’engager avec les démocraties.
SOUS DIVERSES FORMES, L’ISLAMISME EST PARTOUT LE MÊME
Les Frères musulmans d’Égypte et les Tunisiens d’Ennahda se présentent aux Européens et aux Américains comme des islamistes modérés qu’inspire le modèle turc. Ce qui n’a pas manqué d’entraîner, dans les chancelleries, mais aussi dans les journaux occidentaux, des réactions favorables. Pour une raison simple : il était préférable de s’en tenir à l’enthousiasme soulevé dans nos contrées par les soulèvements tunisien, libyen et égyptien du début de l’année ; il ne fallait surtout pas dire qu’il y avait un ver dans le fruit splendide de la révolution ; il était impensable de percevoir la moindre tache sur le drapeau immaculé du soulèvement.
Avec sa liberté coutumière, Martine Gozlan, par ailleurs fervent soutien du printemps arabe, dresse du régime d’Erdogan un tableau accablant et le prive de toute prétention à servir de modèle. Ceux des Turcs, journalistes ou intellectuels, femmes modernes ou observateurs clairvoyants, qui dénoncent l’ascension de l’islamisme dans leur pays ne manquent pas pour autant d’affirmer que les acquis de la révolution kémaliste sont définitifs. À voir. Derrière l’islamisme, sa répression, ses violences, ses diktats moraux, son refus du dialogue avec les opposants, il y a une forme de totalitarisme pas tellement éloignée du stalinisme. Or les communistes sont restés quelque 70 ans au pouvoir à Moscou. M. Erdogan n’est rien d’autre qu’un Erbakan vêtu à l’occidentale et qui prétend que le port du voile relève du libre-arbitre de chacun alors qu’il en fait pratiquement une obligation. Non seulement nous ne devons pas être dupes de la mystification, mais il nous appartient de mettre en garde les Tunisiens, les Libyens et les Égyptiens contre une tentation qui risque de les plonger dans l’obscurantisme pour de nombreuses années.
(1) L’Imposture turque, de Martine Gozlan, Grasset, 9 euros
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