Le mariage pour tous au Conseil des ministres aujourd’hui

Un premier débat sociétal houleux

Publié le 07/11/2012
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TRENTE-ET-UNIÈME des 60 engagements du candidat François Hollande et première réforme sociétale de son quinquennat, le projet de loi sur le mariage pour tous et l’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe, présenté aujourd’hui en conseil des ministres, divise profondément la société.

Il chamboule certaines représentations du mariage comme garant de l’ordre social. L’Église, par la voix du Cardinal archevêque Mgr André Vingt-trois a créé la polémique le week-end dernier, en fustigeant « une supercherie qui ébranlerait un des fondements de notre société ».

Les associations de défense des homosexuels ont immédiatement répondu en appelant à la résistance face « aux pressions des institutions confessionnelles », selon SOS homophobie. L’Association des familles homoparentales (ADFH), l’Association Inter-LGBT (lesbienne, gay, bi et trans), proche du gouvernement, et le comité Idaho (International day against homophobia and transphobia) nient toute légitimité aux représentants religieux pour intervenir au sujet du mariage civil. Des personnalités politiques de gauche (Jean-Marie Le Guen) ou du centre (François Bayrou) ont regretté l’aveuglement de l’Église à l’égard des réalités de l’époque.

Mais les débats les plus vifs se cristallisent autour des intérêts de l’enfant. Les opposants au projet de loi évoquent la difficulté de se construire face à des parents du même sexe. Mgr Vingt-Trois défend ainsi le droit des enfants à trouver des références auprès « de celui et de celle qui leur ont donné la vie », dans la bisexualité, au nom de « pratiques et de sagesses de tous les peuples depuis la nuit des temps ». À front renversé, les associations de défense d’homosexuels revendiquent l’égalité des droits, quel que soit le modèle du couple parental. Juridiquement, l’ouverture de l’adoption aux homosexuels met fin à un vide juridique pour ces enfants et les protège en cas de décès du parent biologique.

Médecins engagés et divisés.

Le débat est aussi vif parmi les médecins au nom de la santé des enfants. Du côté des opposants au projet de loi, Maurice Berger, chef de service de psychiatrie de l’enfant de Saint-Étienne, s’inquiétait dans nos colonnes (voir l’édition du 24 septembre) de la difficulté des enfants à concevoir leur origine. « Pour construire son identité, l’enfant doit pouvoir penser à une scène sexuelle entre les parents dont il fait "partie » puisqu’il y est conçu. Quand les parents sont homosexuels, il sait qu’il ne peut pas être conçu par eux », expliquait-il, constatant chez ces enfants une excitation autour de la sexualité. « Imaginer venir de 2 personnes de même sexe, cela renvoie l’enfant à une fiction impossible » dit encore le psychiatre Pierre Lévy-Soussan, qui alerte sur le « désert filiatif » ainsi créé. Les « Professionnels de l’enfance », association née en 2004 parrainée par le pédopsychiatre Christian Flavigny ou le pédiatre François Despert, dénoncent eux, un « grave brouillage dans la généalogie ».

A contrario, les médecins favorables à l’ouverture de l’adoption aux homosexuels parient sur la capacité des parents à abolir les non-dits. « Si un couple homosexuel nie la différence, c’est compliqué pour l’enfant. Il faut reconnaître que ce n’est pas banal », conseille le Pr Catherine Jousselme. Dans ces circonstances, la loi devrait permettre aux enfants élevés par des couples homosexuels de n’être plus stigmatisés comme les enfants de divorcés pouvaient l’être une génération auparavant, plaide aussi Serge Hefez.

Des psychanalystes se sont même dressés contre une utilisation « moralisatrice et prédictive » d’une « supposée orthodoxie psychanalytique » au détriment du mariage pour tous. « Rien dans le corpus théorique ne nous autorise à prédire le devenir des enfants quel que soit le couple qui les élève. De plus, la clinique de nombre d’entre nous atteste que ce milieu n’est ni plus ni moins pathogène qu’un autre environnement », écrivent Laurence Croix, psychanalyste et Olivier Douville, directeur de publication de la revue « Psychologie Clinique » dans une pétition sur internet.

Dans ce face-à-face, nulle étude ne peut véritablement trancher en faveur d’une position. Les travaux français sont rares, et les études américaines portent sur un nombre restreint d’enfants, et auraient été menées par des chercheurs acquis à l’homoparentalité.

L’horizon de la PMA et GPA.

Le projet de loi porté par la garde des Sceaux Christiane Taubira n’aborde pas la question de la procréation médicalement assistée (PMA), le Premier ministre l’ayant renvoyé « à une loi complémentaire qui pourrait être une loi sur la famille ». Le chef de file des députés socialistes, Bruno Le Roux, a néanmoins annoncé qu’il déposera un amendement lors de l’examen du texte à l’Assemblée. Les ministres de la Famille, Dominique Bertinotti, et de la Santé, Marisol Touraine lui ont apporté leur soutien. Revendiquée par les associations de défense des homosexuels, qui regrettent une « loi a minima », la PMA est loin de faire consensus. Ses adversaires s’interrogent sur la légitimité des médecins et de la science à outrepasser des indications purement médicales. Certains y voient même la porte ouverte à la gestation pour autrui, et à la légalisation des mères porteuses.

 COLINE GARRÉ

Source : Le Quotidien du Médecin: 9185