PAR SOPHIE JACOB*
EN AVRIL 2011, la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) a revu à la baisse le seuil de dose à l’œil susceptible d’induire une cataracte, le ramenant de 2 Sievert (Sv) à 0,5 Sv, ce qui se traduit par une diminution de la limite de dose annuelle professionnelle de 150 mSv/an à 20 mSv/an (1).
Les opacités cristalliniennes sous-capsulaires postérieures sont caractéristiques de l’exposition aux rayonnements ionisants. Elles ont été observées en excès sur de petits échantillons de cardiologues interventionnels aux Etats-Unis, en Uruguay et en Colombie, en Malaisie et en Finlande (2). Ces études présentaient néanmoins des limites quant à la taille et la représentativité des échantillons recrutés ou à la méthodologie utilisée. Aucune étude approfondie n’avait été réalisée en France. Dans ce contexte, l’étude O’CLOC (Occupational Cataracts and Lens Opacities in interventional Cardiology) (2) a été menée en France par l’Institut de radioprotection et de sureté nucléaire (IRSN) entre octobre 2009 et avril 2011 pour estimer le risque d’opacités cristalliniennes chez les cardiologues interventionnels comparativement à un groupe témoin non exposé.
Une trentaine de centres français.
Les cardiologues interventionnels (hémodynamiciens et rythmologues interventionnels) de plus d’une trentaine de centres français privés et publics ont été invités à participer. Pour être éligibles, les cardiologues devaient avoir au moins 40 ans et pas d’antécédent de scanner ou de radiothérapie au niveau du crâne. Lors d’un entretien téléphonique, un questionnaire médical reprenant les informations individuelles, antécédents médicaux et facteurs de risque potentiels de cataracte, était complété, ainsi qu’un questionnaire professionnel décrivant l’activité passée et actuelle en salle de cathétérisme (nombre et type de procédures, utilisation de moyens de radioprotection). Les travailleurs non exposés du centre de Fontenay-aux-Roses de l’IRSN ont été invités à participer à l’étude O’CLOC pour constituer le groupe témoin, comparable au groupe exposé en termes d’âge et de sexe. Le même questionnaire médical leur a été proposé. Enfin, tous les participants exposés et non exposés ont eu un examen ophtalmologique, incluant une dilatation pupillaire et une cotation du type (nucléaire, cortical, sous-capsulaire postérieur) et du stade (de 0 à 5) des opacités cristalliniennes selon la classification internationale LOCS-Lens Opacities Classification System-III.
Au total, une centaine de cardiologues interventionnels et une centaine de travailleurs non exposés de 50 ans d’âge moyen et ayant des caractéristiques cliniques comparables ont été inclus dans l’étude. Les premières analyses ont montré un risque d’opacités sous-capsulaires postérieures près de quatre fois plus élevé chez les cardiologues interventionnels, alors que les autres types d’opacités cristalliniennes étaient répartis de façon homogène entre les deux groupes (3).
Une sensibilisation est nécessaire.
L’analyse des questionnaires professionnels a également montré que la connaissance et la prise en compte des règles de radioprotection semblaient s’améliorer ces derniers temps mais qu’elles restaient très variables selon les individus. Près de 40 % des cardiologues déclarent encore une utilisation partielle ou nulle de leur dosimètre poitrine, seul moyen d’obtenir un suivi dosimétrique en routine exhaustif. Concernant l’utilisation des moyens de protection contre les rayons X, la prise de conscience du risque de cancer radio-induit explique certainement que le tablier de plomb et le cache thyroïde soient maintenant couramment utilisés. Cependant, l’enquête a montré que les lunettes plombées étaient aujourd’hui utilisées de façon régulière par moins d’un cardiologue sur trois.
Sur la base des résultats de l’étude O’CLOC, les cardiologues interventionnels présentent un risque élevé de cataracte sous-capsulaire postérieure. Cet excès de risque est préoccupant, d’autant plus que la protection individuelle des personnes n’apparaît pas à ce jour optimale. Pour limiter ce risque, une protection renforcée des yeux, notamment l’utilisation systématique de lunettes plombées est très fortement recommandée. La sensibilisation des cardiologues au risque de cataracte radio-induite est donc indispensable, que ce soit par la diffusion d’étude comme O’CLOC ou dans le cadre de la formation continue.
* Institut de radioprotection et de sureté nucléaire (IRSN), DRPH, SRBE, laboratoire d’épidémiologie.
(1) ICPR. International Commission on Radiological Protection - Statement on tissue reaction - April 21, 2011. ICRP ref 4825-3093-1464; 2011.
(2) Jacob S, et coll. Occupational cataracts and lens opacities in interventional cardiology (O’CLOC study): are X-Rays involved? BMC Public Health 2010;10:537.
(3) Jacob S, et coll. Occupational Cataracts and Lens Opacities in interventional Cardiology - O’CLOC Study. Acta Ophtalmologica 2011;89, Supplement s246 (abstract).
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