Enfance maltraitée

Une approche globale et concertée

Publié le 12/04/2012
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de notre correspondant

« LA COMPLEXITÉ du phénomène de la maltraitance à enfants est telle qu’elle devrait inciter les professionnels à une approche globale et concertée de chaque situation. Si chacun des aspects, qu’il soit médical, psychologique, social, administratif ou juridique, justifie un abord spécifique, ils doivent s’inscrire dans un projet commun garantissant la qualité et la cohérence des interventions ». Voilà résumée l’approche qui a débouché sur la création du Groupe d’étude sur l’enfance maltraitée (GEEM) en 1985 en Ille-et-Vilaine à l’initiative d’un praticien hospitalier, d’une psychologue et d’un médecin de PMI.

Médecins libéraux (un généraliste, un pédiatre, un pédopsychiatre), hospitaliers (gynécologue obstétricien, pédiatre) et de PMI, enseignants, juges, avocats, travailleurs sociaux, gendarmes de la Brigade des mineurs… participent depuis à ce groupe pluridisciplinaire et interinstitutionnel.

Après une période d’observation et d’apprentissage au travail en commun, le GEEM est devenu un véritable groupe de référence sur le département, « lieu ressource pour certains, instance de réflexion et de promotion de la pédiatrie sociale et environnementale pour d’autres », selon Michel Roussey, professeur en pédiatrie à l’Université de Rennes 1, responsable de la Cellule d’accueil spécialisé pour l’enfance en danger et, d’autre part, président de l’Association française pour le dépistage et la prévention des handicaps de l’enfant.

Situations cliniques.

Le groupe de professionnels a organisé sa 4e journée d’étude intitulée « l’autorité parentale mal menée, autorité parentale malmenée ». Situations cliniques à l’appui, l’idée était de « montrer que certains enfants et adolescents sont en danger lorsqu’ils doivent faire face à un excès d’autorité mais aussi lorsqu’ils sont confrontés à un défaut d’autorité, a expliqué en préambule Michel Roussey. Dans le premier cas, l’autorité parentale est mal menée, dans le second, elle est plutôt malmenée. »

Illustration de cette approche pluridisciplinaire, trois intervenants d’horizon et de formation divers ont partagé leur expérience devant 400 participants. Emmanuel Vallery-Masson, pédopsychiatre au CHU de Rennes, a ainsi évoqué le cas de Sami, 14 ans. Un profil préoccupant : agressivité à l’égard de ses parents, absentéisme scolaire, pratique intensive des jeux vidéo, consommation de cannabis ... « Il était manifestement en danger car il y avait une absence d’autorité de la part de ses parents qui étaient très culpabilisés à cause de leur séparation quand il avait trois ans, souligne le médecin. Il cherche à s’appuyer sur des interdits. Mais, il s’étonne lui-même quand sa mère ne dit rien alors qu’il laisse ses mégots dans sa chambre ou quand son père ne dit rien alors qu’il part en scooter sans casque », explique le pédopsychiatre.

Le cas raconté par Yves Paranthoine, psychologue clinicien et expert auprès de la cour d’appel de Rennes, met au contraire en évidence un excès d’autorité parentale. La jeune fille de 16 ans se plaint de violences parentales. Elle reçoit des gifles, des coups de cravaches, des insultes de la part de son père et de son frère cadet. Mais, très vite, elle minimise les faits. « Une soumission et une obéissance totales étaient exigées par les parents, précise ce professionnel. Ils l’émancipent à 16 ans, lui tondent les cheveux parce qu’un garçon l’a appelé par la fenêtre. Ils étaient dans l’incapacité de se remettre en cause. Finalement de grandir avec l’enfant, parce qu’ils n’ont pas réussi à trouver l’équilibre entre être ferme et dur et être fermé », précise le psychologue.

La question de l’autorité.

Le troisième exemple a été décrit par Maryvonne Lozachmeur, bâtonnier du barreau de Rennes. « La séparation des deux parents a complètement exacerbé leurs positions éducatives qui étaient diamétralement opposées, avec le désir de dispenser d’un côté une éducation rigide et de l’autre une éducation libérale, a remarqué cette avocate. Le plus jeune des enfants va vivre très mal cette opposition. Même quand le couple n’existe plus, le couple parental continue, lui », indique-t-il.

Mettant en perspective les situations cliniques décrites, le professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent Daniel Marcelli estime qu’« il apparaît évident que la question de l’autorité est au centre des problèmes éducatifs actuels. Si jadis, l’éducation consistait à beaucoup interdire et à peu autoriser, l’éducation contemporaine repose sur l’idée excellente qu’il faut beaucoup autoriser car le potentiel de l’enfant est d’autant plus stimulé qu’il est autorisé à agir de sa propre autonomie. Les parents n’ont de cesse d’exhorter leurs enfants, surtout quand ils sont jeunes, à montrer ce qu’ils savent faire. Et que voit-on ? (Un) passage massif des pathologies liées à l’excès d’interdits et d’inhibitions (…) aux pathologies liées à l’excès d’exhortation à faire (…). Mais, cette difficulté à poser une limite se double d’une autre distorsion plus subtile. (…) ». Selon lui, les parents « recourent à un usage immodéré, si ce n’est exclusif, de la séduction : la relation de séduction devient sous nos yeux le standard éducatif de base. Nous observons donc aujourd’hui des pathologies liées à l’excès de séduction. La conjonction entre excès d’exhortation et excès de séduction est certainement à la base d’un nombre élevé de ces troubles comportementaux décrits aujourd’hui », conclut-il.

 OLIVIER QUARANTE

Source : Le Quotidien du Médecin: 9114