Cognition sociale

Une autre lecture de la dépression

Publié le 15/12/2011
Article réservé aux abonnés

LA CAPACITÉ de comprendre les états mentaux d’autrui, de même que le mode de traitement des informations venant d’autres personnes, tels que certains signaux sociaux, comme par exemple le sourire ou au contraire une mimique réprobatrice, peut être résumée sous le terme de cognition sociale. Cette aptitude a été étudiée depuis quelques années dans la schizophrénie et les troubles bipolaires. Parallèlement, des travaux ont été récemment menés sur l’estime de soi dans la dépression. Or cette dernière pourrait bien constituer un paramètre de l’inclusion sociale des individus. De fait des expériences d’exclusion sociale ont pu montrer qu’elles entraînaient l’activation de régions cérébrales également activées au cours de la dépression : cortex cingulaire antérieur, dorsal et ventral, insula. C’est par exemple ce qui se passe lorsque l’on propose à un sujet de participer à un jeu de ballon sur Internet avec deux autres partenaires (qui en fait sont virtuels) et qui, au bout d’un certain temps ne se passent plus le ballon qu’entre eux, excluant de ce fait le sujet alors victime d’une authentique douleur sociale. Des travaux menés chez l’adolescent ont également montré après un an de suivi que la réalisation de tâches suivies d’un rejet social majorait le risque de dépression.

Il s’agit là d’un champ de recherches qui permettrait d’étudier la dépression sous un angle plus social et aussi de mettre à jour un modèle de stress qui pourrait être spécifiquement lié à la dépression. En sachant cependant que les patients dépressifs pourraient être, d’une façon générale, particulièrement réceptifs aux signaux sociaux qu’ils soient négatifs ou positifs. Ainsi, chez des adolescents dépressifs à qui l’on dit que l’on va présenter leur portrait photographique à d’autres personnes, une activation de la région amygdalienne, impliquée dans les émotions, est constatée à l’IRM une semaine après, y compris lorsque la réaction d’autrui a été positive.

Pour certains, cette faculté à se déprimer en cas de détection de signes d’exclusion sociale pourrait même représenter un mode de défense « primitif », dans la mesure où l’appartenance à un groupe a longtemps été une garantie de survie pour les sujets sociaux, notamment appartenant à l’espèce humaine ; l’émergence de comportements dépressifs, avec à la clé une moindre agressivité, pouvant notamment faciliter la réintégration sociale.

Une activation de cytokines.

Une autre piste intéressante est qu’il existe un lien entre l’activation de cytokines pro-inflammatoires et l’apparition de sentiments et de comportements sociaux appartenant au registre dépressif. D’où la possibilité de liens entre dépression, exclusion sociale et cytokines. Il y a donc aujourd’hui une remise en perspective de la dépression qui pourrait être lue à l’aune des compétences sociales. À cela, il faut ajouter la possibilité d’étudier les possibilités de reconnexions sociale, qui, encore une fois pourraient être liées à l’estime de soi. Pour exemple, lorsqu’on demande à des sujets de se rédiger un portrait d’eux-mêmes avant d’être inclus dans un groupe et qu’on leur propose parallèlement un accès à un site Internet dédié à l’expérience, les sujets exclus de tous les groupes, de façon aléatoire, mais qu’ils vivent comme un rejet, ont davantage tendance à consulter le site proposé, ce qui témoigne d’une tentative de reconnexion au groupe.

D’après un entretien avec le Pr Philippe Fossati, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris.

 PATRICIA THELLIEZ

Source : Bilan spécialistes