Les laboratoires pharmaceutiques producteurs de vaccins contre le Covid-19 « alimentent une crise des droits humains sans précédent en refusant de renoncer à leurs droits de propriété intellectuelle et de partager leur technologie, la plupart d’entre elles s’abstenant en outre de livrer des vaccins aux pays pauvres », accuse Amnesty International, dans le rapport « Une double dose d'inégalité : les compagnies pharmaceutiques et la crise des vaccins contre le Covid-19 », publié ce 22 septembre.
Alors que s’ouvre le même jour le sommet mondial sur la pandémie convoqué par Joe Biden, l’ONG lance également une campagne « 100 jours pour rattraper le retard » (à 100 jours de la fin de l'année) qui adresse une forme d’ultimatum aux États et aux industriels pour la livraison de 2 milliards de doses aux pays les plus pauvres d’ici à la fin de l’année, afin d’atteindre les objectifs fixés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 40 % de la population vaccinée dans ces pays.
Une redistribution « de toute urgence » des doses inutilisées
Les États doivent « redistribuer de toute urgence les centaines de millions de doses actuellement inutilisées aux pays à faible revenu » et les laboratoires « veiller à ce qu’au moins 50 % des doses produites aillent à ces pays », réclame l’ONG, soutenue dans son initiative par l’OMS et le Haut Commissariat aux droits de l’homme.
« Le seul moyen de sortir de cette crise est de vacciner toute la population de la planète. Nous devrions être en train de saluer comme des héros ces laboratoires qui ont mis au point des vaccins si rapidement. Or, honteusement pour eux et malheureusement pour nous, le blocage intentionnel des transferts de technologie par Big Pharma et ses manœuvres commerciales à l’avantage des pays riches ont créé une pénurie de vaccins hautement prévisible et extrêmement dévastatrice pour tant d’autres personnes », s’agace Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International, dans un communiqué.
Selon l'ONG, sur les 5,7 milliards de doses administrées dans le monde, seules 0,3 % l’ont été dans les pays les plus pauvres, où moins de 1 % des populations sont pleinement vaccinées, contre 55 % des personnes vivant dans les pays riches.
Conséquence de ces inégalités d’accès, « certaines régions d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie doivent faire face à de nouvelles flambées du virus, qui acculent au bord du gouffre des systèmes de santé affaiblis et provoquent chaque semaine des dizaines de milliers de morts qui auraient pu être évitées. Dans beaucoup de pays à faible revenu, même les soignant·e·s et les personnes à risque ne sont pas vacciné·e·s », poursuit Agnès Callamard.
Dans son rapport, l’ONG constate l’échec des mécanismes internationaux pour le partage équitable des vaccins (Covax et le Groupement d’accès aux technologies contre la Covid-19 [ACT]). Elle analyse surtout les politiques de six laboratoires (AstraZeneca, Pfizer, BioNTech, Moderna, Johnson & Johnson et Novavax) en matière de droits humains, de fixation des prix, de partage de la propriété intellectuelle et de transferts de technologie ou encore d’allocation des doses.
Un « tableau affligeant »
Amensty dresse un « tableau affligeant d’un secteur qui manque cruellement à son obligation de respecter les droits humains » et conclut qu’« à des degrés variables », tous ont « manqué à leurs responsabilités en matière de droits humains », alors qu’ils ont bénéficié de « milliards de dollars provenant de l'argent des contribuables et de l'expertise des institutions de recherche ».
Pfizer et BioNTech ont ainsi livré « au seul État suédois neuf fois plus de doses de vaccin qu’à tous les pays à faible revenu réunis », tandis que Moderna et Johson & Johnson n’honoreront pas la grande majorité de leurs commandes destinées à Covax avant 2022, déplore l’ONG. AstraZeneca, qui a livré le plus de doses de vaccin à des pays à faible revenu, et Novavax, qui n’a pas encore obtenu l’autorisation d’utilisation de son vaccin, sont également pointés par Amnesty pour leur opposition à une dérogation aux accords sur la propriété intellectuelle discutée au sein de l’Organisation mondiale du Commerce pour faciliter une production mondiale.
« En dépit des milliards de dollars de financement public et de précommandes gouvernementales qu’ils ont reçus, les laboratoires qui ont conçu les vaccins ont conservé leur monopole sur la propriété intellectuelle, bloqué les transferts de technologie et exercé de très fortes pressions pour entraver les mesures visant à étendre la fabrication de ces vaccins à l’échelle mondiale », dénonce l’ONG, soulignant également le manque de transparence sur les coûts de production réels, sur les prix facturés aux différents pays ou encore sur les contrats.
Contactées avant la publication du rapport, cinq de ces entreprises (AstraZeneca, Moderna, Pfizer, BioNTech et Johnson & Johnson) ont répondu à l’ONG, reconnaissant qu’« une distribution juste et équitable des vaccins (...) était indispensable », sans pour autant s’engager au respect de leurs obligations, explique Amnesty.
L’ONG a également interpellé sur leurs responsabilités en matière de droits humains les investisseurs et gestionnaires d’actifs qui ont investi ou détiennent des parts de ces fabricants de vaccins. « Dans leurs échanges avec Amnesty International, Baillie Gifford, BlackRock et UBS ont reconnu leurs responsabilités en matière de droits humains à l’égard de l’industrie pharmaceutique, mais aucun des dix principaux investisseurs institutionnels ou gestionnaires d’actifs ne figurait parmi les signataires de cet appel », poursuit l’ONG.
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