« Une grande simulatrice », comme la syphilis, une autre infection à spirochète, la maladie de Lyme a reçu ce qualificatif dès sa découverte en 1982 par l'entomologiste William Burgdorfer. Loin de se dissiper, le mystère autour de cette borréliose transmise par les tiques (Ixodes ricinus) a pris de l'ampleur en trente ans.
Le consensus de 2006 de la SPILF est remis en question, comme le sont outre-Atlantique les recommandations de l'IDSA (International Diseases Society of America). Mais plus que tout, c'est la question des formes tardives, - Lyme chronique ou manifestations post-Lyme -, et de leur traitement par une antibiothérapie au long cours, qui est au coeur des débats. Dans ce contexte très polémique, les autorités de santé sont prises à partie comme arbitre.
Près de 27 000 cas déclarés chaque année
Le Pr Christian Perronne, fer de lance médiatisé de la reconnaissance de la borréliose mais contesté pour son approche thérapeutique atypique, n'a aucun doute : « La maladie de Lyme est largement sous-diagnostiquée, c'est un véritable scandale de santé publique », en référence aux nombreux patients laissés à leur désarroi faute de diagnostic fiable.
Que disent les chiffres ? Près de 27 000 cas de la borréliose sont déclarés chaque année en France par le réseau Sentinelles de l'InVS. « Pour des raisons d'écologie avec la prolifération d'animaux porteurs de tiques, la fréquence est en augmentation de façon incontestable en France comme dans les autres pays riches, estime le Pr François Bricaire, infectiologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris). Le Pr Patrick Berche, microbiologiste et directeur de l'Institut Pasteur de Lille, partage cet avis : « La situation est certainement sous-estimée en France. Il existe une grande disparité entre les régions, avec plus de 100 cas pour 100 000 habitants en Alsace, en Champagne-Ardennes, et en Auvergne. Cela suggère que les tests ne sont pas à jeter mais à améliorer ».
Sérologie et formes chroniques
La sensibilité et la spécificité des tests sérologiques sont au centre de toutes les polémiques particulièrement dans le contexte de la maladie de Lyme chronique. Si la réalité des formes tradives reste controversée, leur reconnaissance gagne du terrain. Aux États-Unis, à la suite du procès intenté par les patients, le site officiel des National Clearing House a abandonné les recommandations de l'IDSA pour celles de l'ILADS (International Lyme and Associated Diseases Society), qui reconnaît la persistance de l'infection. « Il a été démontré que la bactérie peut persister dans les tissus, développe le Pr Perronne. Il existe des formes dormantes, la bactérie peut même changer de forme ». Même le Pr Jaulhac de Strasbourg n'exclut pas la possibilité de Lyme chronique en précisant que « les formes tardives sont exceptionnellement séronégatives*. Si un premier traitement ne marche pas, il faut surtout rechercher autre chose ».
Pour le Pr Bricaire, toute la difficulté avec les formes tertiaires tient « à l'introduction de signes subjectifs tels que des douleurs articulaires, une fatigue, un mal de dos, des troubles de la mémoire. C'est invérifiable. Une sérologie négative ne suffit pas à écarter le problème, une sérologie positive peut correspondre à une cicatrice sérologique sans que les symptômes soient en rapport ». Mais pour le Pr Perronne, il est important de considérer le diagnostic car ces patients souvent multi-explorés finissent par être orientés à tort en psychiatrie.
Dans son rapport de 2014, le HCSP indique qu'un traitement par tétracycline peut être tenté en cas de maladie de Lyme suspectée avec sérologie négative. « En l'absence de réponse satisfaisante, il ne sera pas proposé de traitement antibiotique et le patient sera réorienté », est-il recommandé. En cas de « borréliose de Lyme évoquée par le patient » et si la clinique est « incompatible » et la sérologie « négative »., un autre diagnostic devra être recherché.
Le Pr Perronne, tout comme l'ILADS, préconise des traitements prolongés et alternatifs sur des mois en cas de réponse initiale après quelques semaines de traitement. La non réponse à une antibiothérapie d'épreuve doit faire reconsidérer le diagnostic. Le spécialiste français revendique 80 % de réussite chez ses patients qu'il porte à bout de bras dans des consultations sursaturées : la seule façon de venir à bout de la maladie est de proposer des cures prolongées d'antibiotiques (3 mois) à la carte en alternance avec d'autres antibactériens comme des antifongiques, des antiparasitaires, du Plaquenil ou de la phytothérapie. « Il faut essayer des molécules, en changer, alterner et persévérer malgré les rechutes ou les aggravations transitoires, qui sont le signe d'une réaction au traitement », explique-t-il. L'étude publiée dans le « New England Journal of Medicine » en mars 2016 (Berende et al.) qui conclut à l'absence de bénéfice des traitements prolongés par rapport au placebo n'entame en rien sa conviction. « C'est le modèle d'études conçu pour ne montrer aucun résultat, argumente-t-il. En effet, à 3 mois, beaucoup de malades sont dans un état aggravé par rapport à leur état de base du fait des exacerbations de la maladie ».
Un besoin urgent de recherche
Le Pr Bricaire, dont il a été l'élève, dit ne pas le suivre : « Il est possible que la responsabilité soit immunologique plutôt qu'infectieuse. Dans ce cas des immunomodulateurs seraient plus indiqués. Le traitement antibiotique doit être justifié, j'ai beaucoup de mal à adhérer à ce type de propositions sur des mois ».
D'autres comme le Pr Berche plaident que « face au caractère polymorphe des signes pseudo-psychiatriques et neurologiques, il est indispensable de s'appuyer sur l'anamnèse et de rechercher la piqûre de tique » tout en mettant en avant « le besoin de tests moléculaires fiables pour confirmer directement les agents infectieux et justifier un traitement antibiotique sur plusieurs mois. L'absence de diagnostic laisse la place au fantasme ». La Haute Autorité de santé (HAS) vient d’être chargée par saisine de la DGS de « mettre à jour ses recommandations sur le traitement des formes avancées de la maladie »
Pour avancer, tous s'accordent sur la nécessité de promouvoir la recherche. Le Pr Perronne est le premier à réclamer que la recherche soit encadrée « dans des centres cliniques regroupant des médecins qui y croient », avec l'aide d'acteurs « ouverts d’esprit » impliqués dans la recherche humaine et animale (AVIESAN). Le Pr Bricaire insiste sur la réflexion à mener en amont et sur la nécessité d'études cliniques en double aveugle, quand le Pr Berche appelle à systématiser l'approche dans des groupes bien définis de patients mais aussi à faire des études en sciences humaines et sociales. Le Pr Jaulhac travaille au développement d'un test direct diagnostique par protéomique, « qui sera d'abord validé au stade précoce dans la peau ». L'Académie Nationale de Médecine va consacrer une séance spéciale à la maladie de Lyme en septembre.
* Leeflang, 2016, BMC infectious Diseases
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