Tribune libre

2013 : une année noire pour la médecine prénatale

Publié le 16/12/2013
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Par le Dr Patrick Leblanc*

À L’OCCASION des journées du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), le Comité pour sauver la médecine prénatale affirme que 2013 est à marquer d’une pierre noire. Cette année a vu le développement du dispositif qui conduit à l’élimination de masse des enfants trisomiques avant leur naissance. Aucun professionnels, institutionnels, responsables politiques, n’a eu le courage de dénoncer la commercialisation d’une nouvelle technique et l’instauration d’un fichage de données personnelles relatives à ce dépistage. Ces évolutions, qui comme les précédentes sont présentées, bien entendu, comme des progrès, vont contribuer à la fuite en avant des dérives eugénistes touchant les bébés trisomiques avant leur naissance.

Pour rappel, en France 96 % des enfants détectés trisomiques pendant la grossesse sont éliminés. Des voix fortes et incontestables se sont élevées depuis des années pour dénoncer ce scandale. Malgré cela, pas le moindre indice de prise de conscience bien au contraire.

Capitulation des institutionnels et de l’éthique

Le 29 janvier 2013, le CNGOF s’est prononcé en faveur du nouveau diagnostic prénatal non invasif – DPNI (1) – et souhaite à terme qu’il remplace le dépistage combiné (2). Quelques mois plus tard, le Comité consultatif national d’éthique a rendu un point de vue identique (avis 120), en prenant le parti d’analyser uniquement le volet technique de ce nouveau test plus « efficace » pour dépister les fœtus trisomiques, plus « précoce » ce qui permet des interruptions volontaires de grossesse, à la place des interruptions médicales de grossesse, et « moins dangereux » car diminuant le nombre de fausses couches. Le volet éthique se résume à un deux poids deux mesures cynique et inhumain : le CNEH met en garde contre l’utilisation de ce nouveau test pour toutes les pathologies qu’on pourra détecter avant la grossesse excepté la trisomie.

Lobbying intense

Grâce à ces soutiens institutionnels, un industriel français vient de lancer en novembre la commercialisation de ce test. Et depuis plusieurs mois les médecins spécialistes de la grossesse font l’objet de sollicitations électroniques et téléphoniques répétitives de la part de prestataires de service vantant la technique de DPNI. On les sollicite pour les faire entrer dans des enquêtes d’opinion (contre rémunération !) utiles pour déterminer le coût de ces tests acceptable par leurs patientes. Plus de 820 000 femmes enceintes par an, un système de santé structuré autour de la notion d’égal accès, et une mentalité eugéniste ancrée depuis 20 ans : le marché français s’annonce particulièrement juteux pour les firmes de génie génétique.

Un fichage national des données personnelles relatives au dépistage prénatal

Le 3ème acte déterminant de l’année émane du ministère de la Santé. Il n’est pas anodin car il témoigne de la future administration comptable du diagnostic prénatal. Par arrêté ministériel du 27 mai 2013, un fichier national a été mis en place pour recueillir l’ensemble des données du dispositif de détection prénatale de la trisomie 21. Ce fichage a pour objectif d’évaluer annuellement le système (3). Ainsi chaque fœtus diagnostiqué trisomique sera fiché au niveau national. Un tel recensement renforce l’idée que la naissance des enfants atteints de cette pathologie est due à une erreur de la technique ou à la volonté des parents. On ne peut pas faire plus inhumain et culpabilisant.

2014 : il faut que ça change !

Alors que le système officiel poussait à la roue eugéniste, plusieurs nouveautés positives pour les trisomiques ont émergé en 2013. Des chercheurs ont consacré leurs travaux à cette pathologie pour lui trouver un traitement et améliorer la vie des personnes qui en sont atteintes. Plusieurs publications encourageantes ont été remarquées. La communauté scientifique reconnaît que cet objectif n’est pas une utopie. Des parents témoignent de la vitalité et de la richesse de leur enfant trisomique. Des associations font connaître le potentiel de passions et de qualités de ces personnes. Elles-mêmes s’insèrent à l’école, dans la vie professionnelle.

Le Comité pour sauver la médecine prénatale espère que 2014 sera l’année de l’acceptation de la trisomie comme pathologie médicale et non comme malédiction sociétale. Il ne ménagera pas sa peine pour le faire savoir. C’est une question d’humanité.

1) Le DPNI permet de diagnostiquer la trisomie 21 par une simple prise de sang de la mère à partir de 10 semaines de grossesse.

2) Dosage des marqueurs sériques et mesure échographique de la nuque fœtale.

3) Les biologistes sont désormais dans l’obligation de transmettre à l’Agence de biomédecine l’ensemble des renseignements relatifs aux femmes enceintes soumises au dépistage prénatal, aux résultats des tests, aux issues de grossesse (naissance, avortement...).

 GYNÉCOLOGUE OBSTÉTRICIEN, COORDINATEUR DU COMITÉ POUR SAUVER LA MÉDECINE PRÉNATALE

Source : Le Quotidien du Médecin: 9289