« Il est face à des troubles de santé au stade précoce de leur évolution qui présentent rarement le tableau complet d’une maladie (…) Il a des moyens diagnostiques limités, sans plateau technique. Et, il est amené à prendre des décisions dans un temps court, 18 minutes en moyenne… » Qui se chache derrière ce portrait ? Le médecin généraliste bien sûr. Voilà pourtant une définition inhabituelle qui confirme qu’à l’heure de l’EBM, des recos ou de la ROSP, la médecine générale est, de toutes les spécialités, celles qui emprunte le moins aux sciences exactes et le plus aux sciences humaines. Si vous voulez en découvrir toutes les facettes, lisez donc le dernier ouvrage d’Olivier Kandel (photo). L’ancien président de la Société Française de médecine générale (SFMG) consacre à cette discipline un opuscule dense de quelques 210 pages. Et le « manuel théorique de médecine générale » que signe le généraliste avec deux consoeurs poitevines Marie-Alice Bousquet et Julie Chouilly réalise un petit tour de force : tracer les contours de la spécialité en 41 fiches.
Le titre est des plus sérieux. L’approche et la méthode le sont aussi. Jugez plutôt : les concepts ont été identifiés, sélectionnés, validés par une revue de la littérature, convoquant souvent les travaux de théoriciens connus. Des entretiens avec des experts généralistes et une enquête auprès d’une vingtaine de maîtres de stage ont fait le reste... Le résultat fait de l’ouverture de ce petit bouquin une passionnante plongée au cœur de la médecine de premier recours dans toute sa singularité.
A la découverte, par exemple, de concepts clés comme le « carré de white », le « sablier de la démarche médicale » ou la « loi de répartition régulière des cas » qui permettent de mieux saisir les caractéristiques du métier. Question de probabilité, parfois : « tout praticien exerçant la médecine générale sous la même latitude doit s’attendre à retrouver de façon régulière environ trois cents situations cliniques (…) les moins fréquentes seront observées en moyenne une fois par an sur trois ans,» énonce cette dernière qui explique qu’en médecine générale la répartition des cas ne peut être que très légèrement influencée par les préférences ou les compétences particulières du praticien.
Quand on est généraliste, on ne choisit donc guère les pathologies rencontrées, mais, qui sait, peut-être un peu ses patients. Au moins indirectement en tout cas… Les auteurs de ce « manuel » pas comme les autres montrent que ces derniers s’auto-sélectionnent eux-mêmes en fonction des valeurs et croyances véhiculées par le médecin…
[[asset:image:5441 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Chacun son style évidemment, mais en médecine générale les contraintes sont communes… Au fil des pages, on retiendra en effet quelques fils rouges. Et d’abord, que de tous les praticiens, le généraliste est celui qui est le plus amené à accorder du temps au temps. « Il est communément dit qu’en médecine générale, le temps est le premier examen complémentaire », explique le Dr Kandel, qui rapporte que sur les plaintes formulées au cabinet médical, « seulement 2% des symptômes évolueraient en maladie… » Plusieurs chapitres expliquent ainsi la singularité de la médecine générale par rapport aux autres spécialités. « La médecine générale est caractérisée par le suivi dans le temps, » expliquent les auteurs qui définissent le travail du praticien comme « la prise en compte de cet ensemble d’instants discontinus de rencontres ».
Question de timing, qui amène les auteurs à insister aussi sur le rôle central de l’anamnèse dans une consultation de médecine générale. Une démarche cruciale, puisque les études montrent que « l’hypothèse diagnostique formulée à la fin d’un interrogatoire bien mené est confirmée dans 75% des cas », rappellent Kandel et consorts.
Corollaire du facteur temps, l’incertitude… Ce « manuel théorique » consacre de nombreux chapitres à la difficulté du diagnostic en médecine générale. Grandeur et servitude du métier de généraliste... 11% des consultations aboutiraient en effet à un diagnostic précis, rappelle-t-on : « cette violation de la règle d’or de la médecine moderne fait graviter la médecine générale dans un univers singulier. » En veut-on une autre illustration ? « Le médecin généraliste aboutit en fin de séance à un symptôme isolé dans 20% des cas, à un syndrome dans 45% des cas, à un tableau de maladie dans 20% des cas et à un diagnostic certifié dans seulement 9% des cas… »
Quelle autre discipline pourrait se satisfaire de telles statistiques ? Pour le chef d’orchestre des soins primaires, gérer le temps et jongler avec l’incertitude signifie donc plus que d’autres investir dans la relation. Davantage que n’importe quelle consultation, celle du généraliste est communication insistent les trois auteurs, qui puisent dans les enseignements du psychanalyste hongrois Michael Balint et du généraliste autrichien Robert Braun pour explorer les multiples recoins du colloque singulier en médecine générale. Histoire de faire saisir à leurs lecteurs -les futurs généralistes en priorité- les vertus, mais aussi parfois les pièges de cette « histoire partagée » entre malades et praticiens. L’ouvrage insiste sur les différences de codes qui empêchent ou perturbent la compréhension entre médecin et malade, sur l’ambivalence des attentes des patients et sur leurs demandes cachées. « Cette situation est propre aux soins primaires. Il revient au médecin de rechercher qu’elle est la réelle demande du patient », soulignent les auteurs dont l’ouvrage convaincra jeunes professionnels -et peut-être moins jeunes- que décidément la médecine générale est un métier pas comme les autres…
SFMG ; 209 p ; 17€
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