"Je suis malade de la médecine, mais c’est une belle maladie, non ?" A quatre-vingt-dix printemps, le Dr Roland Bourgeois n’est pas prêt de dételer, ayant gardé intacte sa passion pour l’art d’Esculape. « Cela fait cette année 63 ans que j’ai commencé à exercer et je n’ai pas arrêté un seul instant depuis lors », se remémore-t-il avec bonheur. Le médecin lorrain a en effet ouvert son cabinet de médecine générale de Montigny-les-Metz en 1952 après sept années d’études à Nancy. Une fac dont il loue l’enseignement alors : « On y apprenait la clinique à la française : l’interrogatoire, les antécédents, l’histoire de la maladie, faire un diagnostic positif et différentiel… Je ne suis pas certain que les jeunes d’aujourd’hui en apprennent autant…».
Un stakhanoviste heureux
Voilà donc Roland Bourgeois lancé dans le grand bain de la médecine générale et rapidement noyé sous le travail : « Douze heures par jour, cinquante patients, une trentaine de consultations et une vingtaine de visites, je n’ai jamais eu le temps de m’ennuyer… ». Sans compter ses activités de médecin-capitaine des pompiers de Montigny, ses vacations dans une maison de retraite médicalisée ou son travail d’assistant opératoire dans une clinique de Metz… « Jusqu’à mon départ de Montigny, je n’ai jamais déclaré forfait une seule fois. Même quand j’avais des crises de colique néphrétique, je me faisais une injection de Spasfon en intraveineux la nuit et le matin, je repartais comme en 40… Ce n’est pas très orthodoxe comme traitement, mais ma passion de soigner a toujours été la plus forte. »
Et comme si cela ne suffisait pas, notre stakhanoviste heureux a trouvé aussi le temps d’être un des pionniers du Perfectionnement Post-Universitaire en France, la fac de Nancy étant alors à l’avant-garde : « On venait de toute la France pour voir comment fonctionnait ce PPU, et même le doyen de la faculté de médecine de Rome nous a rendu visite pour prendre exemple sur notre formation ».
En 1983, le Dr Bourgeois, alors âgé de 58 ans, a néanmoins éprouvé le besoin de souffler un peu. « D’habitude quand on est en fin de carrière, la clientèle diminue mais la mienne ne cessait d’augmenter. J’ai donc dit à mon épouse : “ si ça ne t’ennuie pas, je te ramène dans ton pays ». Ce pays, c’est Saint-Victor-de-Morestel, une tranquille bourgade de l’Isère… Mais Roland Bourgeois n’aura pas le loisir de paresser. Après avoir fait une nouvelle formation à la Salpêtrière, il ouvre son cabinet de mésothérapie dans la « cité des peintres ». Et comme il est quasiment l’un des seuls à pratiquer cette discipline, il voit bientôt affluer des clients des quatre coins du Dauphiné et du Lyonnais… Le voilà reparti dans des journées de douze heures : « Quand on aime, on ne compte pas », sourit-il.
Sa retraite officielle, Roland Bourgeois va la prendre en 1991, mais il n’est toujours pas question pour lui de ranger sa sacoche : « Je n’ai plus ma plaque, mais comme je cotise toujours à l’Ordre, je peux toujours consulter, faire des prescriptions, des urgences… ». Et ainsi, à 90 ans passés, notre frénétique généraliste fait encore ses trois à cinq consultations quotidiennes, sans parler des visites de nuit ou de dimanche qu’il effectue parce que désormais « ses jeunes confrères ne se déplacent pas ». Même quand il va à la poste, il n’oublie pas son ordonnancier car il sait bien que, sur sa route, on lui demandera ses services…
« Le Généraliste, c’est ma Bible ! »
Des loisirs, il en a quand même, une heure de marche par jour et, surtout, la lecture du Généraliste dont il n’a raté aucun des 2?734 premiers numéros : « Je lis tout, du courrier des lecteurs aux petites annonces. Je n’en perds pas une ligne. C’est ma Bible, avec Internet ». Il se passionne surtout pour toutes les nouvelles thérapeutiques. « Et dire qu’à mes débuts, on ne soignait qu’avec des sulfamides et de la pénicilline aqueuse qui métabolisait si rapidement qu’il fallait faire des injections toutes les trois heures ». Aujourd’hui, ce qu’il appelle « les médicaments détournés » le fascinent, trouvant ainsi remarquable, par exemple, qu’on puisse utiliser des antidiabétiques dans le traitement des leucémies myéloïdes chroniques…
Et même quand il est en vacances, le Dr Bourgeois consulte encore. L’été dernier à Cannes, sa voisine, une ex-James Bond Girl, cousine du roi d’Angleterre, est venue le voir pour lui demander un avis pour le Prince Charles qui venait de faire une chute de polo. Il a fait illico une ordonnance et montre aujourd’hui avec fierté à ses visiteurs la lettre de remerciement qu’il a reçue de Buckingham Palace…
S’arrêter ? « Jamais, dit Roland Bourgeois, comme Molière je périrai en scène… ! ». Mais il n’est pas pressé et « a envie de lire encore beaucoup de numéros du Généraliste ».
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