P ARADOXE : alors qu'à Pretoria (Afrique du Sud) s'est ouvert, en début de semaine, un procès intenté par 39 laboratoires pharmaceutiques contre une loi sud-africaine favorisant la fabrication de génériques, deux sénateurs démocrates américains viennent de déposer au Congrès une proposition de loi visant à améliorer l'accès aux médicaments génériques anti-SIDA bon marché pour les pays en développement. La démarche est déroutante, compte tenu du fait qu'à Pretoria on fait aussi procès aux Etats-Unis et à l'Europe occidentale, dont l'attitude face au drame du SIDA en Afrique n'est pas des plus généreuses.
La proposition de loi des deux sénateurs, Russ Feingold et Diane Feinstein, vise notamment à interdire aux responsables américains de faire pression sur un pays tiers, en vue de changer ou de modifier des lois destinées à améliorer l'accès aux médicaments génériques, tant que ces lois respectent les règles régissant le commerce international. Une proposition de loi visant en premier lieu les pays d'Afrique subsaharienne.
Rappelons que les pays en développement disposent « d'ouvertures » législatives leur permettant d'accéder à des traitements coûteux. Ils peuvent notamment avoir recours, en toute légalité (1), au procédé de la licence obligatoire qui permet à un pays, lorsqu'une raison d'intérêt général l'exige (en particulier la santé publique), d'autoriser la fabrication locale d'un médicament encore protégé par un brevet. Cette licence est accordée sans le consentement du titulaire du brevet.
Une réponse internationale
Dans leur proposition de loi, les sénateurs américains exigent également de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l'Agence américaine pour le développement (USAID) qu'elles prennent les devants dans l'organisation, au niveau international, de la production et la distribution des médicaments génériques.
« Une pandémie de cette ampleur exige une réponse au niveau international sans précédent, estime le sénateur Russ Feingold. Nous ne serions pas civilisés, si nous acceptions simplement des millions de morts, les réduisant au seul problème d'un autre continent. » Pour sa part, le sénateur Diane Feinstein souligne que « la crise du SIDA n'est pas seulement un événement médical. Ce n'est pas seulement une source de profit pour les laboratoires pharmaceutiques. Cette crise présente des enjeux politiques, économiques, sociaux et moraux ». Sur les 36 millions de personnes infectées par le VIH dans le monde, plus de 22 millions vivent en Afrique.
Le géant américain de la pharmacie, Merck, a annoncé de nouvelles baisses de prix importantes pour ses médicaments anti-SIDA à destination de l'Afrique. Le prix du Crixivan (indinavir) est fixé à 600 dollars par an et par malade et le prix du Stocrin est de 500 dollars. C'est la première fois qu'un médicament de la catégorie des inhibiteurs de la protéase est proposé aux pays en développement à un prix aussi bas, a indiqué Merck dans un communiqué. « Si les groupes pharmaceutiques ne résolvent pas le problème de l'accès aux médicaments, notre propriété intellectuelle est en danger », selon Raymond Gilmartin, président-directeur général de Merck. En revanche, le géant allemand de la chimie et de la pharmacie, Bayer, s'est montré inflexible dans son opposition à la loi sud-africaine permettant la production de génériques. Le porte-parole du groupe, Michael Diehl, a expliqué à l'AFP qu'il s'agissait de « défendre (les) brevets. Si nous cédons en Afrique du Sud, cela peut s'étendre au niveau mondial ».
(1) Clause instituée par un accord signé sur les ADPIC (aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce), en 1994.
Le Kenya opte pour les importations parallèles
Le ministre kenyan de la Santé, Sam Ongeri, a l'intention d'introduire au parlement une législation permettant d'importer au moindre prix des médicaments antirétroviraux, conformément aux accords internationaux. Il s'agit du procédé des importations parallèles qui permet - selon l'Organisation mondiale du commerce (OMC) - d'importer des médicaments de marque (brevetés) à partir d'un pays tiers plutôt que directement du laboratoire producteur. Le pays importateur bénéficie ainsi des prix sensiblement plus bas que les laboratoires pharmaceutiques concèdent à certains pays. « Nous ne pouvons pas rester dans une situation où nous avons un désastre national et continuer à devoir observer les patentes », a déclaré le ministre.
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