TRIBUNE LIBRE
L E dépôt de plainte d'une cinquantaine de malades atteints de cancer de la thyroïde a été l'occasion d'un renouvellement des accusations de négligences dont seraient coupables des responsables d'organismes français d'expertise (et les ministres qui reprenaient leurs avis), au moment de la catastrophe de Tchernobyl.
Ces derniers jours, j'ai moi-même été souvent interrogé par les journalistes, avec une question constante : pouvez-vous nous dire si ces malades ont raison d'incriminer Tchernobyl ?
Ma surprise est de constater que ma réponse « ne passe pas » dans les médias audiovisuels, car elle est systématiquement coupée au montage, comme si je ne jouais pas mon rôle de contradicteur convenu.
J'explique en effet d'abord que je comprends les malades, atteints d'une maladie grave dont ils recherchent la cause, surtout si « on » leur dit qu'une faute a dû être commise, qu'on la leur cache, et qu'on accumule les mensonges. J'explique que je ne ferais sans doute pas autrement si j'étais dans la même situation.
J'explique ensuite que je ne souhaite pas développer maintenant les motifs techniques ou scientifiques qui me font penser que l'accroissement de la pathologie thyroïdienne - indiscutable - ne trouve pas sa source, en France, dans les retombées de Tchernobyl. Il y a bien d'autres explications plus plausibles et plus satisfaisantes, notamment si l'on tient compte de l'amélioration considérable du pronostic de ces maladies, intervenue depuis vingt-cinq ans, qui valide les diagnostics plus précoces et les traitements plus adaptés.
Mais si je m'opposais de prime abord aux accusations dont les juges devront examiner le bien-fondé, je me placerais de fait en position de défenseur d'une position officielle - celle d'un dirigeant du établissement public - fort suspect de répondre d'abord à la « raison d'Etat », qui serait de minimiser ou de nier les responsabilités de l'Etat dans cette affaire.
Or, je suis médecin avant d'être directeur d'un établissement public, et devant des malades, c'est cette priorité de point de vue que je choisis. Médecin, je suis avant tout sensible, comme l'est le ministre qui m'a délégué sa confiance, à ce que les malades me disent, explicitement ou implicitement : ils sont indiscutablement malades et s'interrogent sur une cause extérieure possible. Nous leur devons réponse.
Mais nous devons aussi éviter d'ajouter une souffrance supplémentaire, à laquelle « on » les prépare déjà de manière évidente, qui serait de leur laisser entendre que des hauts fonctionnaires auraient le pouvoir de faire échec à leur procès, ou encore que nous pourrions exploiter les incertitudes de la science pour différer ou éluder - en toute impunité - les réponses aux questions posées.
Que les choses soient claires : il y a suffisamment de données scientifiques actuellement disponibles pour que l'on puisse au moins dire avec certitude si Tchernobyl peut avoir fait ou non des dizaines de victimes en France.
Pour cette raison, il importe que le procès ne soit pas escamoté et que nous nous expliquions devant les malades, calmement et face à face, avec pour seul objectif de faire enfin le bilan des retombées de Tchernobyl en France.
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