Ceci n’est pas un livre d’art

La peinture de Magritte relève d’une certaine manière de l’art du cirque, à savoir représenter l’impossible du possible. Le tableau n’est plus le résultat d’un coup de dés né du hasard et de l’inspiration, mais d’un coup de force. Dans le même temps, il n’est jamais intimidant. C’est plutôt un espace de jeu où la géométrie euclidienne ne s’applique plus, où tout est permis. Prenons l’exemple du mot, d’une image. Magritte, comme le rappelle Bernard Marcadé dans ce très bel ouvrage, à la fois analyse de l’œuvre et parcours biographique, ne les utilise jamais dans leur définition commune. Il les déplace dans un contexte chaque fois différent. Le sens commun s’envole loin de toute psychologie. Il peut alors nous asséner avec un culot fou, nom d’une pipe, ceci n’est pas une pipe dans une légende célébrissime tout en dessinant avec le plus grand réalisme une pipe. Le tableau s’appelle La trahison des images. Ce qui déclenche chez le regardeur un vertige sans fin d’analyse et d’interprétation. Michel Foucault s’est prêté à l’exercice. Bref, comme sur la piste d’un cirque, nous sommes invités à nous échapper du réel et des conventions. Mais si l’art de peindre est l’art de penser, aphorisme qui sert de sous-titre à cet ouvrage, l’œuvre ne se réduit pas à cette voltige de l’esprit. L’ouvrage nous fait découvrir l’époque Renoir par exemple pendant la Seconde Guerre mondiale. Magritte a aussi été inspiré par Fantomas et le cinéma muet. Il s’est livré également à la photographie avec modestie et sans emphase. Car si l’art est magique, il ne s’agit que d’une peinture, juste une peinture, à la manière d’un Jean-Luc Godard. Un tableau n’a pas vocation à changer la vie. « La peinture m’ennuie comme le reste », avoue Magritte. On est loin de l’artiste romantique inspiré, agitateur pour le meilleur et pour le pire. Seule compte la promesse d’enchantement. Embarquement immédiatement avec ce beau livre qui nous emmène ailleurs.

29 × 42 cm, 328 pages reliées sous coffret illustré (330 illustrations couleur). Éditions Citadelles et Mazenod. De Bernard Marcadé. 235 euros.