Médecin du Tour de France pendant 39 ans

Comment le Dr Porte a été débarqué

Publié le 03/11/2010
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Crédit photo : AFP

« COMME après un coup de marteau sur la tête. » Le Dr Gérard Porte se dit « abasourdi et abattu », après son éjection de la direction médicale du Tour de France et des 12 courses organisées par ASO (Paris-Nice, Paris-Roubaix, Tour de l’Avenir, Dauphiné Libéré, Flèche Wallonne...). Pendant 39 ans, depuis la grande époque des Félix Lévitan et Jacques Godet, il a dirigé et coordonné les interventions de quelque 35 collaborateurs, médecins, infirmiers, ambulanciers, pour assurer l’assistance médicale de toutes ces manifestations. Une « petite entreprise », comme il dit, qui l’occupait lui-même pour la moitié de son temps annuel, alors qu’il exerce par ailleurs en libéral, dans une clinique des sports parisienne.

« Tout s’est toujours passé dans la meilleure ambiance, assure-t-il, que ce soit avec les dirigeants de l’organisation, qui s’en remettaient à mes préconisations en termes d’équipement, de matériel et de recrutement, ou avec les coureurs, qui nous exprimaient leur confiance à l’issue de chaque épreuve. Les Lucien Van Impe, Bernard Hinault, Indurain, Armstrong, Cantador avaient pris l’habitude de nous dire merci lors de la dernière étape vers les Champs Elysées. » Un médecin-chef heureux donc, jusqu’au 16 novembre 2009. « J’ai appris ce jour-là, sans avoir été consulté au préalable, qu’ASO avait lancé un appel d’offres auprès de sociétés d’assitance médicale. Motif invoqué : les responsabilités engagées autour des PRH (produits de la réserve hospitalière) et de la circulation des ambulances type SAMU. Des juristes ont recommandé aux dirigeants d’externaliser ces fonctions. Officiellement, mon équipe et moi-même ne devions pas être inquiétés par cette réorganisation. »

Mais le scénario de Mutuaide, la société finalement engagée, s’est révélé être celui du « pourrissement, au mépris de la loi et des personnes », accuse le Dr Porte. « Je restais médecin chef, explique-t-il, mais je constatais régulièrement que des décisions étaient prises dans mon dos. Quatre urgentistes sont arrivés, dépourvus de connaissances sur le monde du cyclisme. Ils ont décidé d’ajouter au dispositif deux ambulances, un hélicoptère, des motos. Peu à peu, ils ont montré leur vrai visage, mettant en doute l’expérience de nos médecins, multipliant mises à l’écart et mesures de vexation ; l’ambiance du Tour de France 2010 a été rendue détestable. Les dissensions se sont multipliées. Les urgentistes de Mutuaide sont même allés jusqu’à insinuer que nous ne savions pas poser des points de suture. »

Procédés parfaitement immoraux.

« On a voulu m’écœurer pour que je parte de moi-même, estime aujourd’hui Gérard Porte, qui se déclare « profondément choqué par des procédés parfaitement immoraux ». Il dénonce aussi les méthodes juridiques qui ont été employées, à son égard comme à celui de ses équipiers : « J’ai toujours bénéficié de contrats à durée déterminés, explique-t-il, renouvelés chaque année pour une durée de huit mois correspondant à la période des courses. À ce titre, je percevais des salaires pour mes vacations mensuelles, des salaires soumis à cotisation et que la société d’assistance a décidé unilatéralement, au mépris de la réalité du lien de subordination, de convertir en honoraires. »

L’épilogue est intervenu le 3 septembre, à l’occasion du Tour de l’Avenir – ironie de l’appellation. « J’ai été prié de ne pas me présenter au départ de l’épreuve. Et depuis lors, je n’ai plus reçu aucun signe de vie. » D’où la décision du médecin-chef du Tour de déposer plainte devant les prud’hommes de Paris contre les sociétés ASO et Mutuaide, pour rupture abusive du contrat de travail (voir encadré).

Mais Gérard Porte ne brûle pas ce qu’il a adoré. « Je n’entretiens pas de contentieux personnel contre Christian Prud’homme, le patron du Tour, ni contre la dirigeante d’ASO, Mme Amaury, souligne-t-il. Il ne faudrait pas faire un amalgame entre mon affaire et l’évolution du Tour de France et du cyclisme professionnel. »

En revanche, c’est le statut général des médecins du sport qui est, estime-t-il, bafoué. Une fois de plus, après le licenciement du Dr Alain Simon, le médecin de l’équipe de France de football (« le Quotidien » du 8 octobre) licencié sans motif par la FFF (Fédération française de football), un praticien est renvoyé sans avoir démérité. « Le comportement des dirigeants d’équipes, de fédération ou d’organisations rejoint une attitude générale en France : ni l’Ordre, qui ne reconnaît pas notre spécialité comme telle, ni la Sécurité sociale, dont la nomenclature codifie nos actes comme ceux d’un généraliste secteur 1, n’accordent de réelle considération à notre statut. Ce mépris s’étend à tous les niveaux : du praticien qui intervient auprès de l’équipe locale, sous la pression de ses dirigeants, jusqu’au médecin chargé du suivi des stars internationales, aux rémunérations astronomiques. »

Pour en finir avec ces vieilles pratiques, l’ex-médecin chef du Tour suggère que la ministre Roselyne Bachelot, profitant de sa double responsabilité santé et sport, s’empare du dossier. Mais il n’y croît pas trop. Son désarroi est aujourd’hui à la mesure des rêves dont il s’est vu porteur au fil des décennies : « Notre parcours a déclenché des vocations auprès de plusieurs générations de jeunes, qui se sont sentis attirés vers exercice hors du commun. » Amère fin de parcours.

CHRISTIAN DELAHAYE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8849