Les années 2000, c’est loin, songerez-vous peut-être… Pourtant, le propos du Dr Luc Perino n’a pas pris une ride. Dans un style non dénué de verve, l’auteur nous décrit ainsi les multiples situations qui l’ont profondément marqué depuis le début de son exercice, revenant par exemple sur son éprouvante expérience gabonaise – il a fait face, en 1973, à une salmonellose qui tuait plus de 15 % des enfants de Libreville et de sa banlieue – ou encore sur les patients qu’il a accompagnés jusqu’à la mort.
Le sentiment de culpabilité, inhérent au métier
Ne craignant pas de se mettre à nu, le médecin, qui partage sur legeneraliste.fr ses billets de blog et « Humeurs médicales », couche ici sur le papier ses doutes et manquements. Le sentiment de culpabilité revient ainsi comme un leitmotiv. Celui qu’il ressent quand il a « tardé à faire le diagnostic initial » d’un cancéreux ou qui s’empare de lui face à la mort subite d’un nourrisson.
Sentiment de culpabilité et d’impuissance, également, devant une patiente qui ne fume ni ne boit et qui, pourtant, après s’être fait amputer de ses deux seins à trente-deux ans et trente-six ans, revient trois ans plus tard avec une métastase pulmonaire de son cancer. L’auteur raconte, enfin, l’angoisse tenace de la faute médicale, « une hantise permanente, qui envahit sa vie », confie-t-il. Il y sera confronté avec le décès d’un patient des suites d’un neuro-paludisme à qui il avait omis de demander à temps s’il avait récemment fait un voyage en Afrique.
Deux époques, deux métiers
S’il reconnaît que les progrès de la médecine ont légèrement amélioré le soin, Luc Perino tient à rendre hommage à la « pratique globale », qui permettait « tant bien que mal de résoudre plus de 99 % des problèmes quotidiens » et qui, à son regret, dans les années 1980, a progressivement laissé place aux nombreux spécialistes libéraux.
« Je l’aimais, c’est tout », s’émeut-il à propos de son vieux métier de « généraliste rural », « depuis les accouchements jusqu’à la ponction lombaire en passant par la traumatologie, les plâtres, la chirurgie dermatologique, les stérilets et infiltrations diverses, sans oublier la routine psychiatrique, sociale ou somatique. » Le désengagement progressif des généralistes a, selon lui, contribué à l’appauvrissement « de beaucoup de leurs pratiques, donc de leurs compétences », avec pour grand perdant le malade, « trimbalé de cliniques en spécialistes, d’hôpitaux en scanners, d’échographies en laboratoires », victime d’un système de soins dérégulé.
Un discours nuancé sur le coronavirus
Dans la dernière partie de son ouvrage, Luc Perino, qui enseigne actuellement à la faculté de médecine de Lyon, partage ses réflexions sur la crise sanitaire qui bouleverse notre planète en 2020. Face au psychodrame qui nous agite depuis le mois de mars, il souligne que les personnes qui succombent au SARS-CoV-2 sont en très grande partie âgées et qu’au regard de l’Histoire, le coronavirus n’est pas une virose catastrophique.
Il rappelle d’ailleurs que la grippe de Hong Kong – qui a fait 32 000 morts en France entre 1969 et 1970 – n’avait pas suscité d’inquiétude particulière chez les citoyens, les professionnels de la santé, les personnalités politiques ni dans les médias, et en déduit que la société et les mentalités ont, depuis, beaucoup changé.
L’auteur craint, par ailleurs, que la mortalité secondaire à l’épidémie, engendrée par le confinement et la crise économique qui en a découlé, soit finalement supérieure à celle du virus. Selon lui, à notre époque, la « pression sanitaire (terme utilisé par les biologistes pour désigner les nuisances causées par les bactéries, virus, ndlr) est (devenue) un enjeu mineur », tandis que la protection maternelle et infantile, la médecine environnementale, les maladies congénitales, l’obésité, les troubles du spectre autistique ou encore la montée des addictions doivent impérativement faire l’objet de toutes les attentions, même en cas d’émergences virales importantes. Son discours politiquement incorrect, s’il peut heurter certaine convictions et sensibilités, a le mérite de nuancer le débat.
La Sagesse du médecin, éditions du 81, 149 pages, 14,90 euros
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