Désembrigadement

Des stratégies individualisées

Publié le 17/12/2015
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Nos recherches (1) sur le processus d’embrigadement ont pour but de comprendre comment et pourquoi le discours de l’islam radical a fait autorité (donc a « fait sens ») à un moment donné sur un jeune. Nous observons un embrigadement relationnel qui provoque une adhésion du jeune à son nouveau groupe et un embrigadement cognitif qui suscite son adhésion à un nouveau mode de pensée.

L’embrigadement relationnel mène l’individu à se faire absorber par son nouveau groupe fusionnel, qui lui fait oublier sa singularité. Cela provoque chez tous les jeunes suivis (2) une sorte d’addiction à leur « tribu numérique », qui se présente comme une famille de substitution supérieure et sacrée, pouvant le comprendre, le protéger et l’aimer « pour de vrai et pour toujours ».

L’embrigadement cognitif est diversifié : les rabatteurs proposent plusieurs mythes adaptés aux différents profils psychologiques des jeunes (fuir le monde réel pour se mettre à l’abri en « terre promise », construire un monde utopique de solidarité et de fraternité, sauver les enfants gazés par Bachar El-Assad, mourir pour intercéder pour sa famille non musulmane afin qu’elle aille au paradis, tuer les soldats de l’armée syrienne puisque la communauté internationale n’a pas bougé, exterminer tous ceux qui ne font pas allégeance à Daesh car c’est la seule façon de régénérer le monde, etc.). Le jeune adhère alors à la croyance que Dieu l’a élu pour réaliser cette mission.

Commencer par les petits riens

Cette individualisation du basculement exige une individualisation du désembrigadement. Il s’agit de réinscrire le jeune au sein de sa filiation en demandant aux familles de rechercher les petits riens de leur vie quotidienne qui pourraient provoquer une remontée émotionnelle chez le jeune, en lui rappelant des éléments de son histoire.

Alors que le discours djihadiste a opéré une sorte d’anesthésie des souvenirs familiaux du jeune, la répétition de micro-évènements qui ont rythmé sa petite enfance fait resurgir des souvenirs provisoirement refoulés. Par l’intermédiaire de témoignages de « repentis », il s’agit ensuite d’ouvrir une faille dans le nouveau cadre cognitif du jeune de manière à ce qu’il soit plus réceptif aux contradictions qu’il perçoit entre les mythes présentés par le discours radical, son motif personnel (trouver une place, se suicider, se venger, être aimé, protégé, etc.) et la déclinaison réelle de l’idéologie de Daesh (projet de purification interne et d’extermination externe). L’objectif est de permettre au jeune de redevenir un individu qui pense, de manière à ce qu’il puisse entamer une thérapie avec un psychologue sur ce qui a sous-tendu sa trajectoire.

Anthropologue du fait religieux, directrice du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’Islam (CPDSI)

(1)  La première recherche-action interdisciplinaire de trois ans sur ce thème remonte à 2006 et a été publiée sous le titre de « Quelle éducation face au radicalisme religieux ? »

(2) Depuis un an, le CPDSI a suivi 650 familles

Dounia Bouzar

Source : Bilan spécialiste