Le Généraliste : Dans son avis, le CCNE se montrait réservé quant à l’ouverture du don de sang aux homosexuels. La Cour de justice européenne incite la France à revoir cette interdiction. Ces avis sont-ils contradictoires ?
Pr Jean-Louis Vildé L'avis du CCNE, qui recommande de ne pas modifier la contre-indication permanente du don de sang par les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, est argumenté, notamment sur des données épidémiologiques et sur des études de modélisations. Néanmoins, l’arrêt de la Cour de justice explique, lui, aussi que l’exclusion permanente peut être justifiée en fonction de la situation épidémiologique de l'infection par le VIH. En France, les données épidémiologiques montrent bien qu’il y a plus de risque chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes. Il y a un problème juridique qui doit maintenant être résolu : existe-t-il des méthodes moins contraignantes permettant d’observer un risque minimum ?
Quels sont les risques épidémiologiques ?
Pr J-L. V. À partir des déclarations obligatoires de la découverte des nouvelles sérologies positives, on peut établir l'incidence, c’est-à-dire le nombre de personnes nouvellement contaminées par le VIH en une année, par rapport à l'ensemble d'une population. Il apparaît alors que chez les hommes homosexuels, l'incidence (1 % par an) est 200 fois plus élevée. On sait également que cette population concentre la moitié des 6 000 à 7 000 nouveaux cas chaque année. Chez les donneurs de sang (1,7 million chaque année) obligatoirement testés pour le VIH (sérologie et diagnostic génomique viral), on constate chez des donneurs réguliers une dizaine de cas « incidents » chaque année, des donneurs dont la sérologie est positive alors qu'elle était négative lors du don précédent. La moitié sont des hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes, qui n’ont pas été déclarées. Comme rappelé dans l’avis, le risque de contamination VIH est estimé à un sur 2,5 millions de transfusions. En fait, il n’y a pas eu de contamination repérée depuis 2002. L'Institut de veille sanitaire a effectué des modélisations, en évaluant le risque si la contre-indication était temporaire, pour les hommes homosexuels qui ont plus d’un partenaire dans l’année qui précède le don. Elles montrent que le risque pourrait être identique à aujourd’hui, mais il pourrait être aussi multiplié par quatre. On ne peut pas tout savoir avec une certitude absolue avec les questionnaires. C’est cette marge qui a fait reculer les ministres successifs.
Marisol Touraine propose de remplacer l’exclusion permanente par une exclusion de 12 mois. Qu’en pensez-vous ?
Pr J-L. V. Le CCNE suggère qu’une étude de modélisation soit faite. Si on nous montre que cela ne modifie pas le risque actuel, alors pourquoi pas ? Mais si cela augmente le risque, même si c’est très faiblement, cela pose une question de principe. Jusqu’où peut-on accepter un risque qui n’est pas pour soi mais pour le receveur, pour la population en général ? Nous cherchons un risque minimum et une sécurité maximum pour le receveur et on ne peut tolérer qu'une modification des contre-indications majore le risque à un certain niveau, même minime.
Est-il envisageable de contrôler les donneurs à l’issue d’un délai de trente jours, la « fenêtre silencieuse » passée ?
Pr J-L. V. On peut imaginer, comme on l’a suggéré dans l’avis, qu’on garde les poches de sang et qu’on reconvoque le donneur un mois après le don, de façon à bien vérifier qu’il est toujours négatif et donc qu'il l'était, sans aucun doute, lors du don. Mais c’est une procédure très lourde. Et la validité des produits sanguins labiles est limitée, leur efficacité diminuant avec le temps.
Peut-on placer le débat sur le terrain de la discrimination ?
Pr J-L. V. Les juristes indiquent qu’il n’y a pas de discrimination car c’est une question de santé publique. D’après le code de santé publique, « nul ne peut être exclu du don du sang en dehors de contre-indications médicales ». Là, ce sont bien des contre-indications basées sur des données épidémiologiques, d’incidence, de prévalence et de modélisation. En 2008, le Conseil de l’Europe a indiqué que le droit des receveurs à la protection de leur santé primait toute autre considération. En dehors principalement de la Grande-Bretagne, de l’Espagne et de l'Italie, la contre-indication du don du sang est permanente en Europe pour les hommes ayant eu des rapports sexuels avec un homme.
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