Nous sommes nombreux à l’avoir longtemps attendue, espérée : avec la loi de bioéthique, enfin, les couples de femmes et les femmes seules (dites « non mariées » dans la loi) allaient pouvoir être prises en charge en France, et le tourisme procréatif allait cesser. Enfin, les femmes qui, faute d’avoir rencontré l’âme sœur à temps, voulaient bénéficier d’une autoconservation ovocytaire, pourraient être prises en charge dans notre pays, qui restait l’un des rares à l’interdire encore en Europe (1).
La promulgation eut lieu en août 2021 ; il aura fallu ensuite attendre les décrets d’application, qui tardèrent jusqu’au 30 décembre 2021 concernant l’autoconservation ovocytaire.
La loi précise que toutes ces nouvelles indications sont prises en charge à 100 % par l’Assurance-maladie (là aussi, nous sommes une exception dans le monde !), mais elle introduit des limites d’âge.
L’Agence de biomédecine (ABM) interroge régulièrement les centres d’AMP et présente ses résultats à un comité national de suivi de l’application de la loi de bioéthique, qui réunit des représentants des sociétés savantes, des centres, des administrations concernées et des usagers, ce qui permet d’avoir des chiffres et une vision globale de la mise en œuvre de la nouvelle loi. De fait, ces enquêtes montrent que, très vite, un certain nombre de problèmes se posent !
Prévisions largement dépassées
Les couples de femmes et les femmes seules ne peuvent concevoir que si une paillette de sperme leur est délivrée par un des 30 Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (Cecos). Ce sont, en France, les seuls établissements autorisés à conserver et à délivrer du sperme de donneur. Avant la parution de la loi, le chiffre de 2000 demandes supplémentaires avait été envisagé. Or, d’après l’ABM, elles étaient déjà 7 669 fin 2021, 9 303 au premier semestre 2022, puis 5 800 au second semestre, soit en tout 15 000 demandes pour l’année 2022 !
Le petit ralentissement observé au second semestre 2022 est-il le reflet d’une diminution réelle, parce que les femmes les plus limites en âge se seraient hâtées dès départ, ou est-ce dû à une diminution de l’offre de rendez-vous en juillet et en août (effet vacances) ? Les chiffres du premier semestre 2023 nous le diront.
Des délais rallongés pour tous
Avant la loi, pour les couples hétérosexuels, les délais moyens entre la demande de premier rendez-vous et la délivrance de paillette étaient de 12 à 18 mois, selon les régions. La plupart des Cecos ont été rapidement débordés par les nouvelles demandes (2) et les délais ne cessent de s’allonger, pour tous, puisque la loi précise qu’il est interdit de traiter différemment les femmes au regard de leur statut matrimonial ou de leur orientation sexuelle. Ils sont en moyenne de 14,4 mois au niveau national (données ABM 2023), avec de fortes disparités selon les régions. Les nouveaux publics représentent désormais trois quarts des demandes de don de sperme ; 36 % les couples de femmes et 38 % les femmes non mariées (données ABM 2023).
Afin d’augmenter l’offre de soin, deux nouveaux centres de don de sperme ont été autorisés en novembre 2022, à Limoges et à Poitiers.
Limitation aux centres autorisés
Pour ce qui est des autoconservations ovocytaires, la situation est encore pire (3,4). La France est le seul pays au monde où elle est prise en charge à 100 % (sauf le renouvellement annuel de la conservation, de l’ordre de 40 euros), mais la loi a posé deux limites : l’âge (à partir du vingt-neuvième anniversaire et avant le trente-septième) et la limitation aux centres publics autorisés.
La définition des centres autorisés a été précisée par le décret du 30 décembre 2021 : il s’agit des centres publics ou privés à but non lucratif déjà autorisés, soit à la préservation pour raisons médicales, soit au don d’ovocyte. L’activité a pu débuter en janvier 2022. Ces centres sont actuellement au nombre de 41 (40 fonctionnels), sur les 100 centres d’AMP français. Trois d’entre eux sont des centres déjà très occupés par la préservation médicale de la fertilité et trois autres sont autorisés au don d’ovocyte, donc ils pratiquaient déjà l’autoconservation, pour les donneuses d’ovocytes qui le souhaitaient (en application de la loi de 2011 et des décrets de 2015).
D’après les données de l’ABM, les demandes ont rapidement explosé : au premier semestre 2022, 5 042 femmes ont fait une demande mais seules 539 ont conservé leurs ovocytes. En 2022, il y aurait eu en tout 11 500 premières demandes, mais seules 1 778 femmes ont bénéficié d’au moins une autoconservation.
Conséquence de cette limitation aux centres publics autorisés, les délais d’attentes nationaux sont de 7 mois, mais atteignent 24 mois en Île-de-France, qui concentre un quart des demandes, et où les femmes font leurs enfants plus tardivement que dans le reste du pays (5). Ainsi, celles qui ont 35 ou 36 ans, pourtant autorisées d’après la loi, se voient refuser par nombre de centres parisiens, dont les délais sont devenus délirants (3). Paradoxe de la loi française qui interdit la pratique de l’autoconservation aux centres d’AMP privés, ces femmes sont adressées à des centres étrangers privés !
Ne vaudrait-il pas mieux autoriser tous les centres français, publics ou privés qui le souhaitent, à faire de l’autoconservation ?
Autre conséquence de ces nouvelles demandes, les rendez-vous sont devenus très difficiles à obtenir dans ces 40 centres pour les couples hétérosexuels, tant les demandes d’autoconservation explosent et occupent toutes les places dans le secteur public !
Devant cette avalanche, l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France a prévu des nouvelles autorisations et, on l’espère, l’ouverture de nouveaux centres, mais quand ?
On peut escompter que ce tsunami de demandes est lié au début des autorisations, à l’afflux de femmes d’âge limite, mais il aurait fallu prévoir des mesures transitoires pour pouvoir les prendre en charge.
Une véritable avancée
Pouvoir conserver ses ovocytes en France est une véritable avancée pour les femmes Françaises. Une fausse image de l’autoconservation a trop longtemps circulé celle de la femme carriériste, qui n’a pas de temps pour la maternité. Toutes les études publiées montrent que plus de 80 % des femmes qui font une autoconservation le font parce qu’elles n’ont pas de partenaire.
Les limites entre la conservation pour raisons médicales, ou sans, sont parfois très floues. La conservation médicale est légalement possible jusqu’à 43 ans et la non médicale jusqu’à 37 ans. On doit s’interroger sur la pertinence de cette distinction. Une femme de 37 ans qui vient de se faire quitter après cinq ou dix ans de vie commune n’a pas le droit à une autoconservation en France, mais si elle souffre d’une endométriose a minima, elle trouve parfois un centre qui l’accepte en indication médicale ! Ce qui pousse certains à chercher des indications médicales qui n’en sont pas !
L’esprit de la loi était d’autoriser sans encourager… Fallait-il vraiment, au nom du principe d’égalité, une prise en charge à 100 % jusqu’au 37e anniversaire, et une interdiction absolue à partir de 37 ans ? Ne pourrait-on pas prendre en charge avant 37 ans et faire payer les femmes au-delà… ce qu’elles font déjà en Espagne !
Les études montrent aussi que les femmes qui font leurs enfants le plus tard sont les plus diplômées (3), ce sont celles qui ont le plus recours à l’autoconservation, et qui pourraient payer.
Financement insuffisant
Un nouveau problème, imprévu, émerge pour les centres qui font cette autoconservation : le coût. Les directions financières savent nous faire remarquer que l’autoconservation n’est pas une activité rentable !
Alors que le temps de travail au laboratoire d’AMP est quasi identique pour vitrifier tous les ovocytes et organiser les relances annuelles, une FIV est cotée B1550, une ICSI B2600, mais une autoconservation B1250. L’ABM prévoit des crédits dits Migac (Missions d’intérêt général et d’aides à la contractualisation) pour compenser, mais il faudra qu’ils soient suffisants, ou que la cotation soit relevée, sinon des quotas nous seront imposés et les femmes auront encore plus de mal à faire une autoconservation en France.
La situation s’apparente à celle de l’IVG, dans les hôpitaux trop souvent considérés comme la cinquième roue du carrosse. Pour que toutes les femmes qui le souhaitent aient accès à l’autoconservation, il faut que les établissements ne soient pas pénalisés, il faut des moyens pour qu’elle se fasse en plus de l’activité ordinaire, et non au détriment.
Exergue : « Avec deux ans d’attente, les délais pour une autoconservation ovocytaire sont devenus délirants en Île-de-France ! »
Exergue 2 : « Hôpitaux publics sous-dotés : la situation de l’autoconservation s’apparente à celle de l’IVG »
Présidente du CNGOF, Centre hospitalier des 4 villes, Saint-Cloud (1) Belaisch- Allart J. La loi de bioéthique est enfin parue. Gynecol Obstet Fertil Senol. 2021 Sep;49(9):649-50 (2) Metzler-Guillemain C. Le don de spermatozoïdes face aux défis de la révision de la loi relative à la bioéthique du 2 août 2021. Gynecol Obstet Fertil Senol. 2022 Mar;50(3):209-10 (3) Belaisch-Allart J, Santulli P. La loi de bioéthique un an après : rêve ou cauchemar ? Gynecol Obstet Fertil Senol. 2023 Feb;51(2):109-10 (4) Belaisch-Allart J. Loi de bioéthique et AMP : des délais inacceptables. Rev Prat. 2023 Feb;73(2):119 (5) Davie E. Un premier enfant à 28 ans. Insee Premiere n°1419, 19 octobre 2012
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature