Autonomie

Faibles revenus, isolement social, troubles cognitifs... les jeunes seniors plus vulnérables en établissement qu’à domicile

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Publié le 06/02/2023
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D’après une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), les seniors en établissement, particulièrement en dessous de 75 ans, sont en situation de plus grande vulnérabilité que ceux vivant à domicile. Des caractéristiques qui soulèvent des questions sur les conditions d’un virage domiciliaire réussi.

Crédit photo : GARO/PHANIE

Le virage domiciliaire est une orientation affichée des politiques publiques sur le grand âge. Mais quelles sont les profils des seniors qui sont maintenus à domicile aujourd’hui ?

C’est ce qu'analyse une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) qui donne une comparaison des caractéristiques des personnes de 60 ans ou plus selon leur lieu de vie*.

Isolement social des résidents d'établissements

On apprend ainsi que parmi l’ensemble des seniors de 75 ans ou plus, près d’un sur dix vit en établissement d’hébergement. Dans ces structures, les résidents ont 86 ans en moyenne, sont aux trois quarts des femmes et 13 % sont en couple (contre 64 % à domicile). « Ce contraste n’est pas surprenant, étant donné l’âge moyen des deux populations. Mais cela s’explique non seulement par la part de veufs et veuves plus élevée en institution (63 %, contre 20 % à domicile), mais aussi par celle des personnes célibataires : en établissement, 17 % des seniors sont célibataires, contre 7 % à domicile », détaille l’étude.

Avant 75 ans, les résidents d’établissements sont même plus souvent célibataires que divorcés, veufs ou mariés. Sur l’ensemble des seniors, c’est beaucoup plus souvent le cas des hommes (27,7 % de célibataires) que des femmes (13,11 %).

« On pourrait voir dans ces chiffres des logiques de recours à l’établissement différentes pour les hommes et les femmes, en fonction de leur statut matrimonial. Une étude a par exemple montré que les hommes avaient davantage de chances, toutes choses égales par ailleurs, d’être parmi les résidents relativement autonomes, ayant eu recours à l’institution plutôt pour des motifs sociaux (isolement, veuvage) que du fait de leur perte d’autonomie », avance l’auteure de l’étude, Delphine Roy.

Le nombre d’enfant en vie a également une influence sur le lieu de vie des seniors. Ainsi un senior sur quatre en établissement n’a aucun enfant en vie, contre un sur dix à domicile, et un sur trois n’a aucun petit enfant, contre un sur cinq à domicile.

En conclusion, la Drees souligne donc que « les personnes en établissement, surtout les plus jeunes, sont plus isolées sur le plan familial que les personnes à domicile ».

Un niveau de vie plus faible

Leurs caractéristiques socio-économiques varient également. Les moins de 80 ans vivant en établissement constituent une population socialement plus défavorisée.

Par exemple, les anciens ouvriers sont fortement surreprésentés en établissement parmi les hommes. Chez les résidents d'établissements masculins de moins de 80 ans, 11 % n’avaient pas de profession avant l’âge de la retraite, contre 0,2 % à domicile.

« Ce pourcentage très important peut indiquer qu’il s’agit de personnes ayant eu un handicap avant leur entrée en établissement, ou des difficultés d’insertion les ayant maintenus dans l’inactivité, et souligne encore une fois la plus grande vulnérabilité sociale de ces résidents les plus jeunes », précise la Drees.

On constate également des écarts dans la distribution des revenus et des niveaux de vie. Ainsi, le niveau de vie médian du ménage des seniors en établissement est de 16 230 euros par an, contre 20 660 à domicile.

Sur les niveaux de vie, parmi l’ensemble des seniors en établissement, une majorité se trouve dans les trois premiers dixièmes de la distribution des niveaux de vie.

« Plusieurs effets se croisent pour expliquer cette différence : tout d’abord, les personnes en établissement sont plus souvent veuves ou célibataires, et le revenu de leur ménage est donc plus souvent composé d’un seul revenu (une seule pension, le plus souvent). Ce sont davantage des femmes, dont les pensions sont plus faibles, et elles sont beaucoup plus âgées en moyenne, or les pensions des personnes les plus âgées sont inférieures à celles des jeunes retraités », analyse l’auteure.

Des limitations motrices et cognitives plus fréquentes en établissement

Concernant les limitations sensorielles** ou motrices***, pour les premières elles ne sont pas très différentes, selon le lieu de vie.

Par exemple, les limitations auditives sont croissantes avec l’âge, au même rythme à domicile et en établissement, et la majorité des personnes âgées entendent sans difficulté dans une pièce silencieuse jusqu’à 90 ans, quel que soit le lieu de vie.

En revanche, les limitations motrices sont plus fréquentes en établissement. À tous les âges, et dès 60 ans, une majorité des résidents ont beaucoup de difficultés à se pencher ou s’agenouiller. C’est également le cas pour monter un escalier, marcher 500 mètres sans aide (sauf entre 60 et 65 ans), et porter 5 kg sur 10 mètres.

À domicile, pour ces quatre difficultés, le pourcentage de personnes sans difficulté est supérieur à 75 % parmi les plus jeunes (60-64 ans) et décroît régulièrement avec l’âge. Les difficultés à se servir de ses doigts et de ses mains sont par contre similaires selon les lieux de vie.

Pour les limitations cognitives, elles restent rares à domicile même aux grands âges mais sont fréquentes à tout âge en établissement. L’étude évoque notamment, les trous de mémoire, les difficultés pour comprendre et se faire comprendre, pour résoudre les problèmes de la vie quotidienne ou les difficultés à nouer des relations.

« Les personnes de moins de 75 ans en établissement ont donc des limitations particulièrement importantes pour leur âge (..) Cela explique en partie le taux particulièrement élevé de personnes sous protection juridique en établissement, supérieur aux deux tiers pour les résidents de moins de 75 ans », explique l’étude.

Nécessité de renforcer l'aide à domicile

Pour l’auteure de l’étude, toutes ces données apportent plusieurs enseignements. Elles montrent la dualité des publics accueillis en Ehpad à tous les niveaux : limitations fonctionnelles, caractéristiques démographiques, diplômes, revenus, protection juridique…

« Elle interroge les politiques publiques, sur l’accueil en un même lieu, et selon les mêmes modalités, de plusieurs publics aux caractéristiques si différentes », note l’auteure.

La comparaison selon le lieu de vie livre aussi des pistes sur les conditions pour un virage domiciliaire. Particulièrement au regard des caractéristiques de ceux qui sont aujourd’hui en établissement si on veut à l’avenir maintenir davantage à domicile : relatif isolement social et faibles revenus des plus jeunes, proportion importante sous protection juridique, prévalence très importante des troubles cognitifs et moteurs…

« Elles impliquent en particulier l’existence et la viabilité économique d’un important secteur de l’aide à domicile, entendue au sens large : aide ménagère, au repas, à la toilette… mais aussi une prise en charge médicale et paramédicale à domicile, qui correspondrait aux tâches assurées aujourd’hui par le personnel sanitaire des Ehpad », détaille l’étude.

Elle cite notamment l’aide à la prise de médicaments, les nombreux actes infirmiers ou de kinésithérapie et jusqu’à la prise en charge de la fin de vie.

* À partir des données des enquêtes Capacités, aides et ressources des seniors (Care) de la Drees.

** Il s’agit des difficultés restantes avec aides techniques (lunettes, lentilles, appareils auditifs).

*** La difficulté doit être évaluée « sans aide », ni humaine, ni technique. Par exemple, « Pouvez-vous vous baisser ou vous agenouiller, sans l’aide de quelqu’un ni d’un objet (canne, chaise, table) ? »


Source : lequotidiendumedecin.fr