P OUR Martin Hirsch, directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire (AFSSA), « 2001 est l'année vérité sur l'encéphalopathie spongiforme bovine » (ESB) (« le Quotidien » du 19 février).
Le délai d'incubation de la maladie chez la vache étant de cinq ans et les mesures prophylactiques adoptées pour enrayer l'épizootie remontant à 1996, c'est en effet cette année que l'on pourra en mesurer l'efficacité. L'une des grandes inconnues qui subsistent à cet égard concerne les éventuels phénomènes de fraude de la part d'éleveurs qui auraient pu continuer à délivrer des farines carnées à leurs ruminants, au mépris de la réglementation en vigueur. D'où, évidemment, le grand intérêt présenté par les travaux de deux scientifiques espagnols.
A la racine du problème
« Tandis que beaucoup de sociétés tentent de déterminer si les animaux ont ou non des prions, nous, nous allons à la racine du problème », a déclaré à l'AFP l'un d'eux, Antonio Delgado, biochimiste et géochimiste au Conseil supérieur espagnol de la recherche scientifique (CSIC).
Selon ce chercheur spécialisé dans les isotopes stables, sa méthode est l'application à la crise de la vache folle d'une technique utilisée depuis plus de vingt ans en archéologie et en paléontologie, pour déterminer la composition de la diète des humains et des animaux de la préhistoire.
Elle consiste à mesurer par la spectrométrie de masse la quantité d'azote 15 présente dans la viande, dans le sang ou dans les poils de l'animal. En effet, les protéines d'origine animale contiendraient des quantités plus importantes d'azote 15 que dans le cas d'une alimentation purement végétarienne, affirme M. Deldago, en précisant que le risque d'erreur de son test se situe entre 0,1 et 0,2/1 000.
Le test a été effectué sur quelque 350 échantillons prélevés dans des élevages et des boucheries, concluant à l'ingestion de farines carnées par 20 % des bovins, 20 % des échantillons étant classés « douteux ».
« Je recommanderais qu'un vétérinaire fasse un test rapide sur le poil de l'animal tous les six mois, afin d'éviter la mauvaise alimentation », a déclaré le chercheur, ajoutant que son test serait commercialisé pour la modique somme de 18 euros, les brevets d'exploitation venant d'être déposés, en l'absence de toute publication scientifique.
Pour autant, la plus grande circonspection s'impose, si l'on en croit les spécialistes consultés sur la « découverte ». Jeanne Brugère-Picoux, professeur de pathologie du bétail à Maisons-Alfort, met en doute le test en raison de la retransformation des protéines microbiennes lors de la digestion.
Le chef du département élevage et nutrition à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), à Clermont-Ferrand, Jacques???????, juge, pour sa part, « fortement douteuse » la sécurité d'un tel test : « Les protéines animales ne représentent que de 1 à 2 % des aliments concentrés qui étaient fournis aux bovins ; à raison de 1 500 kilos par an, auxquels s'ajoutent 5 à 6 tonnes de fourrages, la dilution des protéines carnées dans l'alimentation totale est donc inférieure à 1 pour mille. Dans ces conditions, des moyens ultrapuissants seraient nécessaires pour détecter leur présence dans les tissus de l'animal. »
Répartition homogène de l'azote 15
Une même réserve est exprimée par Dominique Aunis, directeur de l'unité 338 de l'INSERM (biologie de communication cellulaire) et de l'Institut fédératif des neurosciences, à Strasbourg : « Toute la question est de savoir pourquoi une plus forte teneur en azote 15 prouverait l'ingestion de protéines animales, alors que l'azote 15 est réparti de manière homogène dans la nature, autant dans les végétaux que dans les animaux. Les procédés de chauffage des farines, les solvants qu'elles pourraient contenir auraient pu entraîner, le cas échéant, une teneur en azote 15 plus élevée, mais les physiciens nous assurent qu'il n'en est rien. Certes, l'ingestion de protéines carnées provoque l'accumulation d'acides aminés animaux et une plus grande quantité d'azote 15 dans l'organisme, mais la quantité d'azote 14 augmentant de la même manière, la proportion de la teneur en azote 15 ne peut être discriminante. »
Dans ces conditions, on comprend que les responsables de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, de même que les experts de la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes et leurs collègues de la direction générale de l'Alimentation, sans se concerter, aient tous adopté la même décision : attendre une publication scientifique avant d'envisager une éventuelle - et à ce jour bien improbable - application du test espagnol au cheptel français.
1,6 % des échantillons
non conformes
en 1999
Les derniers chiffres publiés par la DGCCRF sur les contrôles des farines animales portent sur l'année 1999. 1,6 % des 380 échantillons testés cette année-là avaient été déclarés non conformes : ils contenaient des fragments d'os ou d'écailles de poissons à un taux supérieur à 0,1 %.
Les inspections menées conjointement par les services vétérinaires de la direction générale de l'Alimentation et la DGCCRF vérifient aujourd'hui qu'aucune farine carnée n'est stockée dans les exploitations, depuis son interdiction dans l'alimentation de l'ensemble des espèces.
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