Courrier des lecteurs

Homéopathie: il faut dépassionner le débat

Publié le 10/09/2018
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Il y a quelques mois, à la suite d’un manifeste en défaveur de la prise en charge de l’homéopathie signé par certains confrères dans un quotidien généraliste, notre ministre de la Santé s’est montrée peu loquace. Elle attendait une évaluation de cette pratique effectuée par de nombreux praticiens, et ayant l’adhésion de nombreux patients.

Il y a quelques jours de cela, une nouvelle charge contre la pratique de l’homéopathie a fait les gros titres de journaux télévisés. Le doyen d’une université s’est exprimé pour expliquer que cet enseignement, faute de preuve, serait suspendu.

On peut avoir des avis plus ou moins tranchés dans un sens ou dans un autre concernant cette pratique. Cependant force est de constater que le débat, qui devrait concerner les professionnels et les scientifiques, est exposé publiquement par différents médias. Est-il sain de faire part à tous nos concitoyens de l’affrontement de différents professionnels de santé ?

Cacophonie

Je ne pense pas : pour plusieurs raisons. Cela va donner une impression de grande cacophonie au sein de la profession, et majorer encore le mépris vis-à-vis des médecins. Cela va conforter la position des adeptes de l’homéopathie, et va accroître la méfiance voire la prise de position ferme des autres. Ces divergences seront-elles réellement constructives ? Je ne pense pas. Cela risque de détourner certains patients vers d’autres types de médecines parallèles pratiquées par des personnes n’ayant pas nécessairement l’éclairage médical suffisant pour aborder des cas difficiles.

Si nous reprenons, dans l’énumération précédente, le dernier item, nous pouvons être quelque peu perplexes quant aux conséquences de cette critique de l’homéopathie. En effet, cette discipline est pratiquée par des confrères docteurs en médecine.

Parmi ces derniers, nombreux reconnaissent leurs limites, et pratiquent conjointement une médecine plus « rationnelle » basée sur les preuves. D’autres n’hésitent pas à envoyer à des confrères plus expérimentés qu’eux les patients qu’ils jugent complexes et nécessitant des traitements spécifiques.

En laissant le champ libre à d’autres « professionnels » n’ayant pas de réels diplômes dispensés par nos universités, nous risquons de nous avancer vers un obscurantisme de mauvais aloi. N’oublions que la pratique de ces médecines parallèles est devenue une partie intégrante de nos villes, et nombreux sont ceux qui se proclament naturopathes, oligothérapeuthes… Leur cabinet a souvent pignon sur rue, et ils arrivent à attirer pas mal de patients.

Il faut rapidement dépassionner cette joute médiatique, et essayer de raisonner comme des adultes. Si les études ne montrent pas d’efficacité de cette discipline, on demande le déremboursement des traitements (on réfléchit sur une base similaire pour obtenir le déremboursement de la désensibilisation). Par contre, je ne pense pas qu’il soit utile de fustiger nos collègues pratiquant cette discipline. En effet, ils nous rendent parfois de grands services pour des cas difficiles mais nécessitant une écoute attentive !

« La hauteur de l’orgueil se mesure à la profondeur du mépris » André Gide.

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Dr Pierre Frances Médecin généraliste Banyuls-sur-mer (66)

Source : Le Quotidien du médecin: 9684