Si « Le Généraliste » était paru en juin 1919

« Il faut empêcher que des médecins fonctionnaires soient aussi médecins traitants »

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Publié le 20/06/2016
Histoire

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Je crois qu’on force actuellement un peu la note en disant que l’évolution de la médecine tend à la transformation de tous les médecins en fonctionnaires.

Par suite du développement de notre civilisation, il se forme toute une série de groupements divers qui ont des intérêts différents de tels ou tels individus. Ces groupements ont besoin, à l’occasion, de médecins pour défendre leurs intérêts et cela augmente le nombre de médecins fonctionnaires.

Mais, en vertu de mon principe, l’individu aura toujours besoin, lui aussi, d’un médecin pour défendre ses intérêts. Il restera donc forcément tout autant sinon plus de médecins de famille. Le nombre des situations médicales augmentera puisqu’au lieu d’un seul médecin comme autrefois, étant à la fois médecin d’une compagnie et d’un individu, il faudra faire intervenir au moins deux médecins, celui de la compagnie et celui du malade.

Autrefois, le médecin unique jouait le rôle d’arbitre entre des intérêts différents. Nos mœurs actuelles ne l’admettent plus et tendent à l’admettre de moins en moins. Il faut donc, pour concilier des intérêts différents, que chaque intérêt soit représenté par un médecin différent. Cela fera plus de médecins fonctionnaires mais ne fera pas de tous les médecins des fonctionnaires.

Les individus garderont toujours leurs médecins particuliers et même reprendront leurs médecins particuliers qui seront leurs défenseurs. La formule la meilleure, à mon avis ; est celle qui a été adoptée par certaines administrations qui ont leurs médecins, mais qui leur interdisent de soigner leurs malades. Ceux-ci se font soigner par qui ils veulent et le médecin de l’administration n’a qu’à s’assurer d’une chose : si l’absence de l’employé est justifiée par son état de maladie. De la sorte, les deux intérêts différents sont défendus par deux médecins différents.

Cette formule devrait être généralisée à tous les cas où des intérêts différents sont en jeu à propos de la maladie d’un individu. De la sorte, le médecin fonctionnaire laisserait subsister le médecin de famille et n’empiéterait pas sur ses droits.

D’ailleurs, toute organisation dans laquelle le médecin est à la fois médecin d’une administration et médecin traitant des malades le met dans une situation fausse, qui peut avoir pour lui de graves inconvénients. Comme médecin de l’administration, il est chef de service et a autorité sur les malades. Comme médecin traitant, il est au contraire au service des malades. S’il lui arrive comme médecin administrative de refuser un congé à un malade, celui-ci peut, par vengeance, se plaindre de ce que le médecin l’a mal soigné et, parfois, obtenir son renvoi. Ma conclusion est que ces deux fonctions soient nettement séparées.

En somme, il est inévitable qu’il y ait des médecins fonctionnaires, c’est-à-dire des médecins chargés de défendre les intérêts d’une administration. Mais ce que l’on peut empêcher, c’est que ces médecins fonctionnaires soient en même temps médecins traitants. De cette façon, les médecins de ville n’auront pas à craindre l’envahissement de la profession par les médecins fonctionnaires. C’est dans ce sens qu’à mon avis doit s’exercer notre défense professionnelle.


(Lettre du Dr P. Gallois paru dans la « Chronique Médicale », juin 1919)


Source : lequotidiendumedecin.fr