Entretien avec le Pr Sylvain Missonnier*
LE VOTE de la loi sur le mariage pour tous a certes permis de faire un peu retomber la fièvre militante. Mais le sujet des nouvelles parentalités, et plus concrètement de l’homoparentalité, reste toujours hautement passionnel, y compris pour un certain nombre de psychologues et de psychiatres. « C’est un sujet qui sent le soufre », constate le Pr Sylvain Missonnier, professeur de psychologie clinique de la périnatalité à l’université René Descartes Sorbonne Paris-Cité. « Pourtant notre rôle, en tant que professionnels, est avant tout d’être des promoteurs d’un débat constructif à l’abri des affres et de la démesure des polémiques destructrices. Or trop souvent, chez certains professionnels du soin et du lien humain, ces questions laissent peu de place à un discours tempéré et raisonnable attentif à la littérature existante », ajoute-il.
Le Pr Missonnier avoue avoir l’impression que certains de ses confrères, quand ils prennent la parole, parlent davantage d’eux-mêmes que de ce qu’ils ont vu dans leurs consultations. « C’est très difficile, sur ce type de sujets, de garder son calme et d’essayer de faire fonctionner sa boîte à outils comme d’habitude », constate-il, en espérant que l’avenir permettra d’apaiser cette « guerre de gangs » idéologiques qui pousse chaque camp à brandir la pensée prêt-à-porter du psy qui va défendre ses thèses. « En adoptant ce positionnement, ils se retrouvent privés de la liberté, indispensable, selon moi, pour faire du sur-mesure clinique. C’est pourtant avec cette approche, du cas par cas, qu’il va comprendre que, oui, tel couple gay ou lesbien présente toutes les capacités pour mener suffisamment bien l’éducation d’un enfant et que pour tel autre, cela sera synonyme de redoutables obstacles », explique le Pr Missonnier. « Mais c’est une complexité clinique qu’il n’est pas possible d’appréhender si vous êtes prisonnier d’un dogme idéologique ».
Le Pr Missonnier reconnaît être parfois pantois devant la radicalité a priori de certains collègues, pour lesquels il a pourtant le plus grand respect sur d’autres thématiques. « Je reste circonspect et plein de doutes par rapport au bien fondé d’une attitude qui revient à s’écarter de tout ce qui fait la grandeur de notre art de la casuistique : il n’y a pas deux humains qui ont les mêmes empreintes digitales et la même réalité psychique. Ne pas le reconnaître et se placer d’emblée dans une position idéologique, gravée dans le marbre, me paraît être d’une grande imprudence clinique et épistémologique », estime-t-il.
Un bouleversement du schéma conjugal hétérosexuel traditionnel.
Dans la foulée, il reconnaît que ces sujets peuvent susciter des réactions tranchées. « Bien sûr, régulièrement, je me pose la question : comment des professionnels d’ordinaire tempérés et plein de bon sens peuvent-ils perdre à ce point leur sang-froid ? La vérité est que les choses ne sont évidemment pas simples. Avec cette question des nouvelles parentalités, on touche au socle qui structure l’histoire judéo-chrétienne depuis des siècles. Dans ce contexte, il est normal que cela inquiète et angoisse fortement car on touche à la famille soumise à l’autorité du pater familias et aux liens de parenté régis par les liens du sang… Aujourd’hui, avec la question de la parentalité homosexuelle, on assiste à un découplage des fonctions parentales et du schéma conjugal traditionnel hétérosexuel, un réel bouleversement, constate le Pr Missonnier. Or, ces sujets renvoient chacun au plus près de son histoire personnelle, générationnelle et de son intimité. Et je crois que la seule issue est avant tout d’approfondir ses observations cliniques encore et toujours, car cela permet de prendre du recul et de sortir de ces positions réflexes et immédiates. Pour favoriser cette ouverture, il est crucial d’être attentif à la littérature existante et, tout autant, de ne pas rester seul afin de pouvoir, au sein d’un groupe, dire ses premières idées spontanées les confronter à celles des collègues pour les élaborer et pouvoir se retrousser les manches, réfléchir, s’entendre penser et remettre en cause ses propres idées reçues. C’est une démarche collégiale essentielle », estime le Pr Missonnier.
Car, pour l’instant, ce qu’il constate, c’est que certains usagers sont tout aussi déboussolés que les professionnels qu’ils vont consulter. « Par exemple, j’ai reçu récemment un couple lesbien qui venait en consultation avec un enfant de 5 ans présentant une énurésie. Et en écoutant ce couple de femmes, j’ai pu mesurer toutes les complications qu’elles ont traversées avant de franchir le Rubicond et d’aller oser consulter. C’est assez édifiant. En fait, elles redoutaient comme la peste de se retrouver face à un professionnel qui leur dise, en substance : "quand on prend la responsabilité de se trouver en situation d’homoparentalité, il ne faut pas ensuite venir se plaindre de l’existence d’un problème" ». Dans cet esprit, le Pr Missonnier invite l’ensemble des professionnels à adopter une attitude empathique envers ces nouveaux parents sans pathologiser ni dénier a priori leurs trajectoires.
(1) professeur de psychologie clinique de la périnatalité à l’université René Descartes Sorbonne Paris-Cité
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