Découverte d’une équipe de chercheurs lillois

Incidence du moment de la journée sur la tolérance à l’ischémie cardiaque

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Publié le 09/11/2017
ischémie

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Crédit photo : Phanie

L’ischémie-reperfusion est présente à différents degrés dans l’infarctus du myocarde (IM), la transplantation d’organes et la chirurgie cardiaque. Actuellement, sa prise en charge repose uniquement sur la réduction de la durée de l’ischémie (comme le recours en urgence à l’angioplastie dans l’IM grâce à la proximité des centres d’angioplastie). Par contre, aucun traitement ne permet aujourd’hui d’améliorer la qualité de la reperfusion et de diminuer la mort cellulaire qu’elle induit.

« Depuis plus de 30 ans, il est connu que la fréquence des accidents cardiovasculaires suit un rythme de 24 heures, avec une incidence de l’infarctus du myocarde et des AVC plus importante en deuxième partie de nuit ou au petit matin », explique le Pr David Montaigne (Lille). Par contre, le degré de gravité de ces accidents en fonction du moment de la journée restait inconnu. Avec des données contradictoires, une dizaine de travaux se sont depuis intéressés à ce sujet dans l’IM. Controversées, ces études n’ont pas réussi à établir l’existence d’une meilleure tolérance du myocarde à l’ischémie le matin ou l’après-midi. Cependant, les travaux expérimentaux récompensés par le prix Nobel 2017, ont mis en évidence des différences de comportements, en cas d’ischémie-reperfusion, chez des souris mutées au niveau de certains gènes de l’horloge par rapport à des souris normales. « Il était connu depuis les années 2010 que le myocarde murin tolère plus ou moins bien l’ischémie-reperfusion en fonction du moment et de l’état de fonctionnement de l’horloge biologique, c’est maintenant démontré chez l’Homme », résume le Pr Montaigne.

Moins de complications cardiaques en cas de chirurgie l’après-midi

En chirurgie cardiaque, l’ischémie-reperfusion n’atteint pas le même niveau de gravité que lors d’un IM ou d’une transplantation d’organes. Néanmoins, la chirurgie cardiaque, telle que la chirurgie de remplacement de valve aortique, est un contexte particulier où la procédure est très standardisée (avec une période de moindre perfusion du cœur de durée équivalente). « À travers ce modèle, l’objectif est de montrer l’impact du rythme circadien et de l’horloge biologique au sein des cardiomyocytes sur la tolérance à l’ischémie-reperfusion ».

Menées en plusieurs temps, les recherches ont débuté par la mise en place d’une étude observationnelle auprès de 596 patients, durant les 500 jours suivant le remplacement de leur valve aortique. « Dans cette étude preuve de concept, nous avons profité de l’opportunité de la chirurgie cardiaque comme modèle d’ischémie-reperfusion. Néanmoins, la chirurgie cardiaque étant très sûre, près de 600 patients ont dû être inclus pour observer quelques événements cardiovasculaires au bout de plusieurs années », souligne le Pr Montaigne. Selon un algorithme statistique de score de propension, chaque patient opéré le matin (n = 298) est apparié avec un patient opéré le soir (n = 298) possédant les caractéristiques (en termes d’âge, de sexe…) les plus proches possible. Les patients opérés l’après-midi ont présenté deux fois moins de risques de complications cardiaques (infarctus du myocarde peri-opératoire et récidive d’insuffisance cardiaque) que les patients opérés le matin (9 % de complications cardiovasculaires chez les patients opérés l’après-midi versus 18 % dans le groupe opéré le matin, p = 0,0021).

L’impact du gène de l’horloge Rev-Erbα

Une seconde étude randomisée menée auprès de 88 patients (44 opérés le matin et 44 l’après-midi) a mis en évidence, après 12 jours de suivi moyen, un taux de troponine T cardiaque significativement inférieur chez les patients opérés l’après-midi (179 ng/l versus 225 ng/l ; HR 0,79 p = 0,0045). Puis, des analyses de transcriptome réalisées sur les biopsies cardiaques de 30 patients (14 du matin et 16 de l’après-midi) ont révélé l’existence de 287 gènes dont l’expression est régulée par le moment de la journée. « Nous avons découvert qu’un des gènes de l’horloge les plus régulés est le récepteur Rev-Erbα. Il s’agit à la fois d’un gène de l’horloge impliqué dans les rythmes biologiques et d’un récepteur nucléaire. Sur un modèle de souris exempt de Rev-Erbα ou recevant une molécule antagoniste à Rev-Erbα, nous avons montré qu’il n’existait plus d’impact du moment de la journée sur la tolérance à l’ischémie-reperfusion du cœur et la possibilité de protéger le cœur en inhibant la voie de signalisation Rev-Erbα ».

Si l’étude laisse entendre que la chirurgie devrait être proposée l’après-midi chez certains patients, cette piste est surtout intéressante chez les patients à risque (diabétiques, âgés, insuffisants rénaux…). « Il nous reste à déterminer les patients qui devraient en bénéficier ainsi que les molécules susceptibles d’interférer avec l’horloge biologique ». En effet, la mise au point de thérapies capables de déphaser l’horloge biologique et de moduler la lésion d’ischémie-reperfusion est non seulement prometteuse dans la chirurgie cardiaque mais aussi et surtout dans l’IM et la transplantation d’organes. « Dans notre travail, nous avons testé chez la souris un antagoniste de Rev-Erbα, SR8278, que nous essayons d’optimiser pour obtenir une molécule pouvant être administrée chez l’homme et capable de déphaser l’horloge interne au niveau du cœur ». De plus, les enseignements apportés par cette étude « preuve de concept » s’appliquent potentiellement à beaucoup d’organes car les phénomènes d’ischémie-reperfusion sont assez ubiquitaires dans l’organisme. Ainsi, de nombreuses recherches autour du rythme circadien sont en cours.

D’après l’interview du Pr David Montaigne, physiologie et explorations fonctionnelles cardiovasculaires, centre des valvulopathies (CHU de Lille)
(1) Day-time variation of peri-operative myocardial injury in cardiac surgery and its prevention by Rev-Erbα antagonism : asingle-centre propensity-matched cohort and a randomised study. The Lancet 2017

Karelle Goutorbe

Source : lequotidiendumedecin.fr