Les théories de la dégénérescence firent florès au XIXe siècle. Elles étaient en liaison avec l'idée que certains êtres portent en eux les stigmates d'une déviation maladive. À la fois psychiatre et historien des idées, Jacques Hochmann montre avec talent la dangereuse complicité qui unit la psychiatrie et les idées politiques, progrès démocratique parfois, mais terrible régression lorsque la psychiatrie signifie le pouvoir de sélectionner et d'enfermer, ainsi que l'a montré Michel Foucault.
Au cours de l'histoire des sociétés occidentales, rachitiques, goitreux, syphilitiques ont été désignés comme porteurs de tares (2). Ces conceptions, manipulées par un catholicisme d'inspiration sociale, ont donné naissance à un eugénisme débouchant sur la stérilisation et l'élimination.
Or il y a une version socioculturelle (oserons-nous dire soft ?) de ces délires, qui, comme on sait, aboutirent aux abominations du régime nazi. C'est l'idée que nous déclinons sans cesse. Ceci alors que la France n'a pas connu de période de guerre depuis soixante-dix ans, que jamais nous n'avons eu un tel accès au savoir. Alors, interroge l'auteur, « pourquoi toutes ces lamentations sur la décadence de notre civilisation ? Pourquoi cette réhabilitation d'idées politiques nauséabondes qu'on croyait définitivement effacées ? »
À la recherche de pistes susceptibles de justifier le retour de l'idée de dégénérescence, l'auteur y voit la résurgence du vieux thème du péché originel, auquel il ajoute une hantise de la chair sous la forme d'une peur du désir féminin. Les bizarres noces des hantises d'un catholicisme intégriste et de leur médicalisation pseudoscientifique.
Le livre nous introduit dans la genèse de sa notion-titre à partir de la zoologie. On parle avec Buffon de dégénération, mais, très vite, l'animal fait place aux figures de l'insensé, telles que la psychiatrie les comprend avec Philippe Pinel et Jean-Étienne Esquirol. On voit alors comment l'institution psychiatrique génère l'idée de races maladives, inférieures, qui va se substituer à la pure diversité buffonienne.
Le progrès en discussion
L'intérêt de cet ouvrage quasi symphonique est qu'il traverse représentations et bains d'idées, vraies et pseudosciences, et qu'il nous fait voir le social au travers de ses misères décrites par Zola. Terriblement représentatif, acmé de la pensée racisto-décliniste, est le chapitre consacré au comte Arthur de Gobineau, auteur de « l'Inégalité des races humaines » (1853-1855), dont le roman familial confine au délire.
De fait, comment apprécier aujourd'hui la notion de déclin ? Suffit-il d'écouter le râleur de bistrot, le tenant du « c'était mieux avant », le grand bourgeois rongé par la nostalgie ? La pensée du déclin a pu pourtant se retrouver à bon droit chez de très grands esprits comme Oswald Spengler ou Arnold Toynbee.
Quant à la pensée mythique par laquelle nous avons débuté, elle a pu accoucher de l'idée de progrès, gobée sans grand examen préalable. Notre univers numérisé d'où toute humanité semble parfois s'être retirée est-il un réel progrès ? La discussion reste permise.
Jacques Hochmann, « Théories de la dégénérescence - D'un mythe psychiatrique au déclinisme contemporain », Odile Jacob, 284 p., 24,90 € (1) « La Fin des notables », 1930 (2) Lire aussi, autour de ce thème et des travaux de Foucault, « Histoire des crétins des Alpes », d'Antoine de Baecque (Vuibert, 284 p., 24,90 €)
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