Jacques Toubon, Défenseur des droits

« Je suis très préoccupé par la situation des migrants »

Publié le 12/01/2017
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

LE QUOTIDIEN : Comment réagissez-vous à la réforme PUMa pour les droits des étrangers ?

JACQUES TOUBON : Les étrangers en situation régulière ont vu leur accès à l’assurance-maladie se fragiliser par la récente réforme PUMa.

D’une part, j’avais relevé dans mon rapport les effets néfastes de la suppression du maintien des droits pendant un an en cas de perte d’une des conditions d’accès à l’assurance-maladie. La loi de Financement de la Sécurité sociale pour 2017 autorise cette prolongation à l’assurance-maladie et à la CMU-C : c’est une bonne nouvelle car les étrangers seront ainsi moins exposés aux risques de rupture de leur protection maladie, rupture qui peuvent être dues à certaines pratiques illégales des préfectures (refus de délivrance de récépissés) ou plus généralement au contexte de précarisation du droit au séjour. Je serai désormais vigilant quant aux détails de cette prolongation de droits dans les textes d’application à venir.

D’autre part, la suppression des ayants droit majeurs, si elle a le mérite de simplifier les dispositifs, conduit à ce que les conjoints de Français, d’Européens ou de réfugiés ne soient plus exonérés de la condition de 3 mois pour l’accès à l’assurance-maladie, ce qui était pourtant leur cas avant la réforme. Comment justifier que ces personnes qui arrivent en France de manière tout à fait régulière soient exclues de l’assurance-maladie pendant 3 mois ? Je renouvelle sur ce point mes recommandations auprès de la ministre de la Santé.

Comment réagissez-vous aux demandes de suppression de l’AME exprimées par des candidats à l’élection présidentielle ?

Régulièrement, l’idée de supprimer l’AME – ou de la réduire à une aide d’urgence en la subordonnant à un droit d’entrée annuel – refait surface dans le cadre des projets relatifs à la « maîtrise des flux migratoires ».

Plusieurs études montrent que le besoin de soins est une cause d’immigration tout à fait marginale. Il n’y a aucun « appel d’air » de ce fait. La plus grande partie des migrants apprennent qu’ils sont malades bien après leur arrivée en France.

Par ailleurs, l’instauration d’un droit d’entrée pour l’accès à la couverture maladie – comme entre 2011 et 2012 – a montré ses limites et ses dangers : renoncement aux soins contraires au droit à la protection de la santé – droit fondamental – et allongement du délai moyen d’instruction des demandes d’AME, ce qui retarde l’accès aux soins. Ces retards induisent une dégradation de l’état de santé des intéressés et un surcoût pour la collectivité lié à un recours accru à l’hôpital au titre des soins urgents et vitaux.

Les droits des migrants dans la capitale vous préoccupent-ils ?

Je n’ai pas été saisi au titre des droits des migrants ni à celui de la déontologie des forces de sécurité.

De manière générale, je suis très préoccupé par la situation des migrants. Mes équipes se sont rendues à Paris, place Stalingrad, en novembre au moment du démantèlement.

Nous avons ensuite constaté dans un rapport d’observation sur les démantèlements des camps et la prise en charge des exilés à Calais et Paris à quel point les solutions mises en œuvre, même lorsqu’elles se présentent comme humanitaires, sont davantage empreintes de considérations liées à la maîtrise des flux migratoires qu’aux exigences du respect des droits fondamentaux des intéressés.

Propos recueillis par Ch. D.

Source : Le Quotidien du médecin: 9546