LE QUOTIDIEN - Que ressent-on quand on revient, après deux ans passés en Belgique, dans une entreprise que l'on connaît bien ?
JEAN-PHILIPPE MILON - On ne peut parler de dépaysement, d'autant que toutes les filiales de Bayer partagent des valeurs et des modes d'organisation où l'on cherche au maximum à faire participer les collaborateurs aux prises de décision. La première richesse de notre entreprise réside en effet dans la valeur des hommes et des femmes, tout autant que dans nos produits.
Pour moi, je retiendrai que je suis entré, en 1992, dans une entreprise dont le chiffre d'affaires était de 600 millions par an et que ce chiffre d'affaires va atteindre deux milliards cette année. Cette entreprise a grandi, elle a changé, mais ses mutations ont été effectuées avec le concours de collaborateurs que je connaissais déjà pour la plupart, et qui, d'ailleurs, m'ont réservé un accueil touchant, à mon retour. Autant dire que, à certains égards, je reviens dans un environnement que je connais bien.
De toute façon, les dirigeants de filiales semblent désormais devoir souvent « bouger » au sein du même groupe.
Que pensez-vous de ce type d'organisation ?
Même si mon cas est atypique, comme je viens de l'expliquer, je pense qu'une expérience internationale devient indispensable pour les nouveaux managers de l'industrie pharmaceutique, car les enjeux de la pharmacie se définissent aujourd'hui au niveau mondial. Ce qui ne veut pas dire que les caractéristiques et spécificités des marchés nationaux doivent être ignorés, bien au contraire.
Quels enseignements avez-vous tirés de votre passage en Belgique ?
La direction de la filiale belge est une expérience managériale à la fois difficile et très enrichissante, car il me fallait coordonner les activités diagnostic, automédication et produits éthiques de Bayer en Belgique. De plus, ce pays se partage en trois zones très distinctes, on ne le sait que trop : la Flandre, la Wallonie et l'agglomération bruxelloise.
Par ailleurs, j'étais particulièrement bien placé pour mesurer l'impact croissant des réglementations européennes sur nos activités pharmaceutiques.
Enfin, le simple fait de m'éloigner un peu de la France, même dans un pays qui n'est pas tendre pour l'industrie pharmaceutique, m'a permis de bien réaliser le sort tout à fait particulier et préjudiciable qui est fait à cette industrie dans notre pays : clause de sauvegarde, taxes de plus en plus importantes, notamment sur la promotion, sur les ventes directes...
Les acquis et les projets de Bayer
Comment voyez-vous l'avenir de Bayer Pharma, dans notre pays ?
Comme je l'ai dit, le chiffre de Bayer Pharma va atteindre les 2 milliards cette année, dont 200 millions pour les génériques, domaine dans lequel nous sommes en seconde place sur le marché national. Nous devons ce résultat à un portefeuille de produits qui, en étant quantitativement modeste, est qualitativement très enviable : qu'il s'agisse de Chronadalate[226], de Ciflox[226], de Glucor[226] ou de Staltor[226], ou encore de Kogenate[226] facteur VIII recombinant, nous disposons de produits majeurs, dans des domaines thérapeutiques importants.
Le succès de ces molécules dans notre pays s'explique aussi par le fait que la filiale française a toujours cherché, à côté de ses produits, à mettre en uvre une politique de service et des actions de santé publique. Qu'il s'agisse d'Internet dès 1995, du rôle moteur de Bayer pour rapprocher les médecins et les associations de patients ou de notre engagement pour favoriser la recherche et la communication sur le concept de risque cardio-vasculaire absolu, nous avons, en permanence, mené de pair une activité pharmaceutique et un rôle d'acteur de santé.
Notre rôle de laboratoire citoyen s'illustre également à travers notre engagement, sans réserve, au travers de notre filiale Bayer Classics, dans la politique du générique, ce qui nous place en deuxième position sur ce marché. Cela nous donne le droit de dire que, ayant pris la décision de créer l'offre, nous ne pourrons pas attendre éternellement que la demande arrive à la hauteur de cette offre. On ne peut demander à un industriel plus que ce qu'il peut donner : les pouvoirs publics doivent bien le comprendre et admettre que si la demande de génériques ne s'accroît pas, il conviendra de trouver d'autres moyens de faire des économies. Nous ne souhaitons pas en arriver là, mais nous avons besoin, à court terme, de signes clairs et forts.
Partant de cette situation, nous comptons sur un développement rapide, grâce à de nouvelles molécules, pour assurer le développement de Bayer France, en sachant que l'objectif chiffré n'est pas tout : il est important que, à côté de l'Allemagne, la France représente toujours le centre d'excellence de Bayer en Europe par les résultats économiques, mais aussi par le dynamisme de ses équipes et la qualité du service apporté à ses clients.
Quelles sont les molécules sur lesquelles vous misez pour l'avenir ?
En ce qui concerne notre développement futur, nous misons sur de nouvelles molécules, notamment la moxifloxacine, fluoroquinolone active sur le pneumocoque, ainsi que sur un nouveau traitement des dysfonctions érectiles (Vardenafil). Nous n'excluons pas de compléter nos gammes par des acquisitions de molécules comme nous l'avons fait, par exemple, pour la Josacine. C'est à partir de 2004 que nous devrions passer à une vitesse supérieure avec deux lancements annuels prévus.
On sait peu que Bayer est présent dans le domaine des biotechnologies, notamment avec Kogenate, premier facteur antihémophilique recombinant dans l'hémophilie A. En ce qui concerne l'hémophilie B, Bayer vient de conclure, il y a quelques semaines de cela, un accord majeur avec la société de biotechnologies Avigen en vue de mise au point d'un médicament de thérapie génique. Le renforcement de notre implication dans ce domaine est également illustré par notre partenariat fructueux avec l'américain Millennium Pharmaceuticals. Cela sans compter des alliances plus ciblées avec, par exemple, Lion Biosciences, en Allemagne, pour compléter notre savoir-faire dans la génomique et la bio-informatique.
Se donner les moyens de rester indépendant
Globalement, vous êtes donc optimiste ?
Je suis optimiste en ce qui concerne les capacités de notre groupe de mettre en uvre de nouvelles stratégies dans le cadre de son développement futur.
Comme vous le savez, des réflexions sont actuellement en cours, au niveau de notre maison mère. L'action Bayer est en effet clairement sous-évaluée tant au plan de l'excellente tenue de nos résultats que des perspectives de développement des diverses activités, notamment pharmaceutiques, de notre groupe.
Au plan opérationnel, je fais une entière confiance aux équipes Bayer Pharma pour assurer le développement optimal de ces innovations, tout en s'attachant au rôle d'acteur en santé publique qui sous-tend l'action de notre laboratoire. Mais je l'ai dit, mon optimisme d'entrepreneur est malheureusement tempéré par l'environnement du médicament qui ne fait que se détériorer dans notre pays : à ce titre, je souligne l'attachement de notre laboratoire à l'association des laboratoires internationaux de recherche, le LIR, qui demande sans relâche une meilleure reconnaissance et valorisation de l'innovation thérapeutique.
40 ans et une carrière déjà longue
Jean-Philippe Milon (40 ans) a été nommé, le 1er octobre, président du directoire de Bayer Pharma SA. Il succède à Giovanni Fenu, appelé à d'autres fonctions au sein du groupe Bayer.
Docteur en pharmacie, MBA, Jean-Philippe Milon a commencé sa carrière professionnelle au sein du Laboratoire Yamanouchi, avant d'intégrer Sandoz en tant que chef de groupe, puis responsable du marketing des départements cardiologie, asthme et métabolisme. Il prend ensuite la responsabilité du département antibiothérapie de Beecham, avant d'être nommé directeur général de la société de biotechnologies Centocor.
Jean-Philippe Milon rejoint Bayer Pharma SA en 1992 en tant que responsable, puis directeur du marketing. En janvier 1998, il est nommé directeur général en charge des opérations. Depuis 1999, il était président de Bayer SA/NV, regroupant en Belgique les activités pharmaceutiques, d'automédication et de diagnostic du groupe Bayer.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature