«D ANS toute l'Europe, la troisième drogue la plus consommée est le cannabis. Qu'on aime ou qu'on n'aime pas, c'est la réalité », a déclaré la responsable belge de la Santé, Magda Aelvoet (écologiste), à l'issue du conseil des ministres du 19 janvier qui a entériné la dépénalisation, la détention et la consommation du cannabis à des fins personnelles.
La possession du produit est admise pour « une quantité telle qu'elle n'est pas destinée à la vente ». Toutefois, la prohibition demeure en cas de « nuisance sociale » ou de « comportement problématique » et peut se traduire par une « perte de contrôle de consommation », comme c'est le cas de quelqu'un qui se présente en classe, au travail ou au volant après avoir manifestement trop fumé. Les deux notions seront précisées dans un arrêté royal et une circulaire du ministère de la Justice.
L'emploi « limité d'alcool, de tabac (les 2 drogues les plus en vogue, NDLR) et de cannabis est de plus en plus accepté socialement. Il n'existe aucune raison objective pour envisager » les boissons alcoolisées et les cigarettes « autrement » que les joints, relèvent les tenants de la nouvelle « politique globale » belge relatives aux drogues.
« Le bon voisinage » européen respecté
Pour autant, si la culture privée de quelques plants d'herbe ne fera plus l'objet de poursuites, sans que cela ne soit explicitement stipulé dans le projet de loi, la distribution dans des coffee-shops, comme aux Pays-Bas, n'est pas permise. En fait, « la situation est floue », commente un conseiller ministériel. « Nous restons dans le cadre des engagements internationaux et européens que notre pays a contractés », affirme de son côté le ministre de la Justice, Marc Verwilghen, qui fait allusion notamment à la convention de Schengen, laquelle impose, dans son article 76, le « bon voisinage ». « Nous suivons une politique qui est celle de la plupart des Etats voisins, qui ne poursuivent plus l'usage individuel, mais se concentrent sur le trafic et la distribution », souligne Mme Aelvoet.
Quant à l'essentiel de la nouvelle « politique globale », elle prévoit un accompagnement thérapeutique du toxicomane condamné pénalement. Plus de 12 millions d'euros seront débloqués pour la prévention et la dispensation des soins. « Une société sans drogue, ça n'existe pas, mais l'utilisation de stupéfiants peut constituer un risque pour la santé », insiste la ministre belge pour décrire la démarche gouvernementale. « Mieux vaut prévenir que guérir, mieux vaut guérir que punir », résume-t-elle.
Sur le territoire français, contigu de la Belgique, « on ne peut que souhaiter aux consommateurs de cannabis de ne pas se faire prendre », prévient Dominique Moulin, directeur de la Sécurité du Nord. Cependant, concède-t-il, il serait logique de s'interroger sur l'absence d'harmonisation entre les législations européennes, à un moment, d'ailleurs, où « la coopération entre les services français, belges et néerlandais en matière de lutte contre la drogue s'améliore ».
La France encore un peu plus isolée
Désormais, il n'y a plus que l'Espagne (uniquement si l'usager fume en public), la France, la Finlande et le Luxembourg qui sanctionnent encore l'usage simple du cannabis. L'Hexagone « se retrouve un peu plus isolé qu'avant », constate le Dr Bertrand Lebeau, de Médecins du Monde. De son point de vue, la Belgique se montre « raisonnable, car la tendance générale est d'accorder une faible priorité à la question » de la consommation du « H » . En France, un jeune scolarisé de 15 à 19 ans sur trois reconnaît avoir fumé un joint « au moins une fois dans l'année ».
La présidente de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), Nicole Maestracci, qui, elle non plus, ne croit pas à une « société sans drogue », met en garde contre « les déclarations fracassantes » et préfère rappeler ce qui se fait à Paris.
« Dans les circulaires adressées par la garde des Sceaux aux procureurs en juin 1999, il était indiqué que la priorité reste le combat contre le trafic et que, pour les usages, il faut privilégier la poursuite des toxicomanes qui causent des dommages à autrui, et surtout organiser une orientation sociale ou sanitaire.
Nous sommes donc dans la même optique qu'en Belgique, sauf que nous, nous n'avons pas modifié la loi », explique la patronne de la MILDT.
« En région parisienne, dans les grandes agglomérations, dans le nord ou dans l'est, actuellement, il y a une dépénalisation de fait, au moins concernant les primo-usagers, indique le Dr Lebeau. En revanche, dans une petite ville, quelqu'un peut très bien être puni de prison ferme parce qu'il a été pris avec une barrette de haschich ».
Tout cela montre que le débat sur la dépénalisation de la drogue prend ou reprend forme en France. En 1998, 111 vedettes avaient lancé un appel public dans ce sens. Jean-Pierre Galand, président du Collectif d'information et de recherche cannabique avait envoyé des joints aux 577 députés français, ce qui lui a valu une condamnation. Enfin, en juin 2000, les quatre membres du groupe de rock brestois Matmatah, dont le procès avait relancé la polémique, ont été redevables de 15 000 F d'amende chacun pour « provocation à l'usage de stupéfiants ».
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