Courrier des lecteurs

La Croix Rouge et le généraliste… Histoire

Publié le 12/03/2015
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Derrière ce titre pourrait se cacher une fable de La Fontaine, mais l’histoire que je vais vous narrer est bien plus triste.

En fait, je suis généraliste depuis plus de 20 ans. Très fier de mon métier, et de sa représentation, j’ai décidé, il y a plus de 17 ans de cela de travailler au sein d’associations humanitaires.

Durant toutes ces années, hebdomadairement je me rends de nuit dans plusieurs associations, et j’effectue entre 700 et 800 consultations chaque année.

Souhaitant poursuivre « à la source » cet engagement, j’ai décidé de travailler au sein de l’abri hivernal (à la demande du directeur de l’époque), il y a 6 ans de cela.

Chaque hiver (entre décembre et avril), les SDF retrouvés à la rue, ou ceux qui ont été exclus d’autres structures se retrouvent dans cette unité pour passer la nuit au chaud. Au fil du temps, et malgré les risques (coups, et menaces) que nous prenions le personnel et moi-même, des liens ont pu se tisser avec quelques accueillis. Certains d’entre eux ont, de ce fait, pu accepter les règles de notre Société. Pour nous tous, cette prise de conscience reste une victoire sur leur désocialisation.

Il y a 3 ans de cela, l’association a mis la clé sous la porte, et la Croix Rouge a repris une partie de ses attributions (l’abri hivernal notamment). Conscient de ce changement, et après l’avis du chef de service, je me suis présenté à la Présidente. Cette dernière m’a expliqué que la Croix Rouge misait surtout son action sur le secourisme, d’où l’opportunité de travailler dans cette direction. Malheureusement, n’ayant pas cette valeur dans l’âme, j’ai demandé une poursuite de mon action. En grand seigneur, la Présidente m’a expliqué qu’elle souscrirait une assurance dans ce cas.

À la rencontre des usagers

J’ai donc continué mon travail comme auparavant en allant à la rencontre des usagers, et en assurant avec ma trousse médicale des consultations à « leur chevet ». Cette pratique permet d’avoir des relations égal à égal, et favorise plus la confidence.

Au début janvier 2015, plusieurs cas de gale m’ont conduit à réfléchir sur cette problématique ; le personnel souhaitant trouver une solution pour éviter les contaminations. Fort de ce constat, je me suis empressé de relater cet événement au responsable de la cohésion sociale (l’abri hivernal est financé par ce ministère, ce qui veut dire par les deniers publics). Ce dernier alerté, en a fait part aux responsables de toutes les associations humanitaires, dont la Croix Rouge. Le lendemain, j’apprends, suite au coup de fil du chef de service que le directeur m’interdisait toute intervention sur la structure.

Étonné par cette disposition, je prends contact avec le directeur. Ce dernier, très sec, m’explique que le Croix Rouge n’est pas une association comme les autres. Elle présente des règles, et il faut savoir s’y conformer. En tout état de cause mon action devait être suspendue jusqu’à ce que nous puissions nous rencontrer (le directeur m’informe qu’il me contactera pour me donner un rendez-vous).

Janvier, et février passent, et aucune entrevue n’est prévue.

C’est alors que certains de mes collègues, qui travaillent au sein des urgences du CH local me demandent la raison pour laquelle certaines pathologies simples présentées par les SDF sont envoyées sur les urgences.

Cet événement a été la goutte qui a fait déborder le vase. Aussitôt, j’ai pris ma plume pour dénoncer ma mise à pied auprès des représentants de Croix Rouge, mais aussi les politiques, et les responsables sociaux.

Le lendemain de cet envoi, le directeur de la Croix Rouge joint ma secrétaire, et avec insistance demande un rendez-vous le lendemain matin vers 11 heures.

Quelque peu surpris, je décline cette proposition, et compte tenu de mon emploi du temps je lui donne un rendez-vous 10 jours après. Il recontacte alors plusieurs fois ma secrétaire pour dire qu’il veut m’avoir au téléphone rapidement. Je décide alors de lui parler, et il reconnaît avoir fait une erreur (sans s’excuser), puis me demande de revenir dès la semaine d’après dans la structure. Une assurance professionnelle a été prise pour que je puisse travailler à l’abri. En parallèle, il m’explique bien que la Présidente lui a bien dit que ma présence était très malvenue dans la structure.

Son comportement m’a quelque peu surpris et choqué à plusieurs titres :

– Comment est-il possible d’interdire quelqu’un au sein d’une association et lui demander expressément de travailler avec soi ?

– Il s’imagine que je ne travaille pas, ou peu, et que je dois accepter ses demandes (un rendez-vous à 11 heures).

– Comment sera-t-il possible pour moi de travailler avec des salariés à qui il a été expressément dit qu’il fallait m’interdire l’entrée du site ?

– Étant d’une « ancienne génération » je comprends difficilement qu’un professionnel de santé puisse être dirigé par un administratif.

Vous comprendrez que même si l’envie de revenir au sein de cet abri, par amour-propre, il m’est impossible d’accepter. En décembre 2015, je serai sur le pied de guerre pour recommencer (avec une nouvelle équipe) l’accueil hivernal.

La moralité de cette histoire reste qu’en étant humaniste, le médecin peut faire souvent l’objet d’un mépris plus ou moins affiché d’un petit chef ; lequel refuse de comprendre le travail du généraliste… Dommage que cette histoire se déroule au sein d’une grande institution : La Croix Rouge.

Dr Pierre Frances

Source : Le Quotidien du Médecin: 9394