S I les femmes représentent actuellement la moitié de la population étudiante en premier cycle de l'enseignement supérieur dans le domaine scientifique, leur nombre est en constante diminution à chaque échelon de la carrière universitaire. La proportion de femmes professeurs d'université est inférieure ou égale à 7 % dans six Etats membres de l'Union européenne (UE). Et les Françaises ne peuvent guère se réjouir même si, à ces postes, leur pourcentage atteint presque 14 %.
Le rapport du groupe de travail « Femmes et sciences » du réseau ETAN (réseau européen d'évaluation de la technologie) est formel : les scientifiques ne sont pas ceux qui laissent le plus de places aux femmes. Rédigé par un groupe d'expertes à la demande de la direction générale de la Recherche de la commission, en 1998, le rapport présente aujourd'hui une étude statistique de la situation des femmes dans l'enseignement supérieur, dans les instituts de recherche, dans l'industrie et au sein des comités scientifiques de haut niveau, tant au niveau de l'UE qu'à celui des Etats membres.
Alors qu'on pourrait croire les pays latins plus machos que les autres, c'est dans les Etats membres du sud de l'UE que les femmes sont les plus présentes dans les professions scientifiques. Ainsi, le Portugal « semble avoir particulièrement bien réussi à faire entrer les femmes dans les départements scientifiques des universités et des instituts de recherche ». A la faculté des sciences de l'université de Lisbonne, 30,7 % des professeurs titulaires sont des femmes. Elles sont 33 sur 73 à occuper un poste de directeur de recherche. Ce revirement s'explique, d'une part, par le choix des hommes de carrières mieux payées dans le privé et, d'autre part, par la fuite des cerveaux masculins à l'étranger.
Au sein de l'UE, le pourcentage de femmes professeurs semble augmenter en moyenne de 0,5 à 1 % par an. « En clair, attendre un équilibre hommes/femmes dans la fonction professorale des universités européennes ne constitue pas une stratégie particulièrement efficace », font valoir les auteurs du rapport. La proportion de femmes perdues en chemin tout au long de la filière universitaire est plus forte que celle des hommes. On peut lire, dans le rapport, que le pourcentage de femmes diminue manifestement au niveau du postdoctorat, « lorsque les plans de carrière se mettent en place ».
Les différences entre les sexes se font également sentir par discipline. Celles où ne figure quasiment aucune femme dans la plupart des pays, telles que la physique théorique, « ont tendance à bénéficier de la plus haute considération », soulignent les auteurs. Les femmes sont plus présentes en sciences sociales et en biologie qu'en chimie, en physique et en ingénierie.
L'une des explications le plus fréquemment avancées de la sous-représentation des femmes scientifiques aux postes à responsabilité est de dire qu'elles sont entrées plus tardivement que les hommes dans le monde de la recherche. Cette explication facile n'en est pas moins erronée. Les auteurs du rapport ont en effet étudié un groupe de 1 088 chercheurs de haut niveau (78 % d'hommes et de 22 % de femmes) du conseil italien de la Recherche qui, tous, y sont entrés en 1988 avec un âge moyen de 42,5 ans. « Notre étude avait pour objet de repérer le nombre de chercheurs qui parvenaient au titre le plus élevé, directeur de recherche, après dix ans de carrière, écrivent-elles. Vingt-six pour cent des hommes ont bénéficié de cette promotion, contre 12,8 % des femmes », ce qui confirme que les premiers ont plus de chances d'avancement que les secondes. « Le déséquilibre est le plus frappant en haut de l'échelle hiérarchique : sur 240 directeurs de recherche, 88 % sont des hommes et 12 % des femmes », ajoutent-elles.
Des recommandations
Au-delà des constats, les auteurs du rapport proposent plusieurs recommandations, notamment à l'adresse des Etats membres de l'UE, afin d'inciter les jeunes femmes à entreprendre une carrière scientifique et à s'y maintenir. Elles suggèrent, entre autres, des mesures pour développer des politiques de bonnes pratiques dans le recrutement et l'embauche de scientifiques, ainsi que l'adoption de mesures actives afin de supprimer les inégalités salariales entre les deux sexes.
« Les stéréotypes sexistes doivent être battus en brèche par l'intermédiaire des programmes d'études, de la pédagogie et des médias », proposent-elles par ailleurs. C'est dans ce but que l'une d'entre elles, Claudine Hermann, professeur de physique à l'Ecole polytechnique, a décidé de créer l'association Femmes et sciences*, en décembre dernier. Celle-ci compte déjà, grâce au bouche à oreille, un peu plus de 80 adhérents (quelques représentants du sexe masculin y participent aussi). « Pour l'instant, le recrutement est plus académique que privé, signale Claudine Hermann , mais nous comptons l'élargir peu à peu auprès des mathématiciennes, physiciennes, biologistes, médecins, ingénieurs, etc. ». Les objectifs de l'association sont non seulement de renforcer la position des femmes exerçant des carrières scientifiques dans les secteurs public et privé, mais également de promouvoir l'image des sciences chez les femmes. « Les lycéennes ont une idée extrêmement vague des métiers scientifiques et techniques. Il y a une très forte demande d'intervention auprès du public scolaire. Les femmes scientifiques doivent témoigner de leur expérience », explique Claudine Hermann. Pour Catherine Vidal, neurobiologiste et membre du conseil d'administration de l'Institut Pasteur, il s'agit moins de faire du féminisme à tous crins que de rétablir une forme d'égalité. « Il y a des idées reçues tenaces, ne serait-ce que dans ma spécialité, l'étude du cerveau, assure-t-elle. Certains scientifiques, et notamment dans des équipes américaines, veulent à tout prix démontrer qu'il y a une différence majeure entre le cerveau des femmes et celui des hommes. Or, rien ne dit que ces différences (telle que la capacité à se repérer dans l'espace qui serait plus développée chez l'homme que chez la femme) sont plus innées qu'acquises. Il y a plus souvent des empreintes culturelles que des données biologiques objectives ». Outre l'organisation de séminaires, les membres de l'association Femmes et sciences veulent, à terme, créer un observatoire de la parité s'appuyant sur un réseau d'antennes régionales.
* Association Femmes et sciences, 18, rue Juge, 75015 Paris ; e-mail : femmes.sciences@wanadoo.fr
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