Une France sidérée par la violence

La fin du macronisme

Par
Publié le 06/12/2018
Article réservé aux abonnés

La déconnexion entre gilets jaunes et casseurs de Paris est un mythe : jamais la crise ne serait parvenue à ce sommet si les actes de violence n'avaient pas scandalisé les Français. Les manifestants pacifiques (tous ne l'ont pas été) ont donc tiré avantage des émeutes, même s'ils n'en sont pas responsables, de même que les partis politiques, dans l'opposition ne se seraient pas retrouvés lundi à Matignon si la journée du 1er décembre avait été pacifique. D'une certaine manière, cette atmosphère de soulèvement populaire, à laquelle contribuent les lycéens et divers corps de métier, donne amplement raison à M. Macron quand il déclare les Français « réfractaires » aux réformes. Ils le sont notamment parce que les oppositions, qui ne sont pas plus appréciées par les gilets jaunes que le pouvoir, prononcent des mots et avancent des idées qui ont été reprises par les manifestants : rétablissement de l'Impôt sur la fortune, augmentation de 20 % du Smic, annulation des taxes sur les carburants, démission du président, dissolution de l'Assemblée. 

Ces idées se promènent dans les réseaux sociaux depuis un bon moment et elles ont fini par envahir les cerveaux. Agglomérées, elles représentent une contre-réforme : il s'agit de détruire ce qui a été fait depuis le début du quinquennat. Ce que Macron a accompli correspond pourtant à des changements calculés à l'aune des contraintes actuelles : mondialisation, mauvaise qualification de nombre de salariés, mobilité insuffisante des chercheurs d'emploi, compétitivité médiocre de l'industrie française. À ces défaillances nombreuses et profondes, le pouvoir a donné des réponses. Il a affronté avec courage les syndicats et les partis d'opposition. Il a déjà surmonté quelques crises. Aujourd'hui, il plonge dans un conflit dont la nature exacerbée pourrait empoisonner ses réformes jusqu'à les asphyxier.

Faire une offre

Il n'a pas su en revanche diminuer la dépense publique. C'est seulement en la réduisant qu'il trouvera le financement de son lourd programme. Il a préféré augmenter la CSG, première erreur (il aurait  été plus inspiré s'il avait créé la TVA sociale). Et comme il a supprimé partiellement la taxe d'habitation, ce qui a aggravé son conflit avec les collectivités locales, il a tenté d'augmenter les impôts indirects. Mal lui en a pris : ceux qui ne paient pas l'impôt sur le revenu ne veulent pas non plus payer les taxes. M. Macron a fait comme si la voiture était un objet de luxe alors que c'est un outil de travail. Il ne peut pas minimiser la crise actuelle : elle menace son action et elle le menace personnellement. Il doit donc céder et faire une offre capable de séduire ceux pour qui cent, ou plutôt deux cents euros par mois, représentent une somme appréciable.

Dans le cas des carburants, c'est un coup porté à la lutte conttre le réchauffement climatique dont la France n'est déjà pas le chef de file. Mais le reste des réformes risque aussi d'être remis en question. En consultant les partis avant de recevoir les gilets jaunes, le Premier ministre tente d'aller vers l'apaisement ; car il a compris que la violence ignoble des casseurs et la détermination des gilets ne peuvent pas être traitées par la répression. Pourtant, chacun sait ce qu'exigent les partis : qu'il renonce et que, peu ou prou, il fasse ce qu'ils préconisent. La gauche et la droite, qui ont toutes deux échoué complètement, ne sont pas crédibles. Ce qui, hélas, est crédible aujourd'hui, c'est le grand chambardement proposé par l'extrême gauche et par l'extrême droite qui, malgré leurs poussifs efforts pour se distinguer l'une de l'autre, tiennent deux langages très similaires, notamment sur la leçon que le pouvoir doit tirer de la crise, démission et dissolution. Comme c'est simple ! Même si Macron survit politiquement, ce qui n'est  pas sûr, c'est le macronisme qu'on assassine. 

Richard Liscia

Source : Le Quotidien du médecin: 9708