« Il n'est d'urgent que le décor ». C'était la devise de Pierre Loti. Jean-Paul Gaultier l'a faite sienne. Le voici, lui qui, toujours, présentait dans des hôtels particuliers aussi splendides qu'inconfortables, au Carrousel du Louvre, lieu sinistre s'il en est (mais conçu pour). Il était bien malheureux, Jean-Paul. Mais qu'en a-t-il fait ? De même qu'Andrée Putman semble être la seule personne au monde capable de défigurer le château de Versailles, de même notre joyeux ludion est la seule personne au monde à transfigurer les lugubres (mais pratiques, je le répète) salles du Carrousel du Louvre et à leur donner l'allure de la Galerie des glaces.
A l'aide de tulle transparent, de trompe-l'il et de projections, nous voici dans des palais royaux, dans des suites princières, dans des folies XVIIIe. Des lustres, des glaces, des girandoles, des consoles et des rocailles. Des ors, des pourpres et des fleurs.
Et dans ce décor éblouissant, masquant ciment et parpaings, voici que d'autres éblouissements nous attendent.
Des tailleurs « crevés » dont les seins s'échappent, des tailleurs coupés net au cutter et qui deviennent trois pièces : mini boléro aux épaules, lorsqu'il s'efface, la veste devient bustier présentoir à lolos. Le jean est en lanières reliées par des jours brodés. Des tutus enserrent les chevilles, la femme est encagée dans des filets de coton noir où grimpent, hardies, des roses, des lilas et des glycines. Ici, des robes désagrégées ou désintégrées qui semblent s'échapper peu à peu du corps de la femme. Là, des chaussures piquées de plumes d'autruche et puis, encore et toujours, une robe du soir corset, couleur rose gaine et qui donne au mannequin des allures de Mae West.
Vous l'aurez compris, des inventions, des tonnes d'inventions, de la joie de vivre, des tonnes d'éclats de rire. De l'esprit quoi... Et surtout du talent.
Pour terminer, et comme la femme Gaultier n'a pas de temps à perdre, la mariée apparait avec un bébé dans les bras ! C'est toujours ça de pris que les autres n'auront pas !
La débrouille
Dominique Sirop se débrouille bien, Cartier lui prête des platines et des diamants, Moet & Chandon ses bulles, Carita ses coiffeurs, Reno Pellegrino ses sacs et le théâtre des Champs-Elysées son hall et ses escaliers. Dommage qu'il ne prête pas sa salle. Cela nous (me) permettrait de nous (m') asseoir et de savourer confortablement les seize jolies robes de cet ancien assistant fidèle de Givenchy, et rescapé d'Hanae Mori. Car c'est un couturier qui fait encore partie de ceux qui savent.
Hélas, il faut contempler ses uvres debout et dans une cohue savamment organisée. En faisant attendre tout ce beau monde piaffant et gelé au bas des marches, au bord de l'impatience et en les lâchant d'un coup dans l'escalier, cela m'a fait penser à la cohue piétinante de l'incendie du bal de la charité.
Pas touche, objet d'art !
Ce ne sont plus des robes, ce sont des objets. Ce n'est plus de la couture, c'est de l'art. Oui, Christian Lacroix est devenu sculpteur en robes, et ses robes sculptures pourraient être accrochées à quelques cimaises internationales avec le plus grand bonheur.
Chez Christian Lacroix, podium classique. Rien en trop, rien en moins. Seuls d'immenses panneaux aux couleurs changeantes plongent le spectateur dans une ambiance d'art moderne. Ici, pas de locomotive à vapeur qui traverse la pièce, pas de
chichi, pas d'hologrammes, pas de fumigène, pas de lumière noire. (A ce propos, signalons la dernière trouvaille d'Alexander Mac Queen, qui préside aux destinée de la maison Givenchy, pour faire parler de lui, qui est de ne pas présenter à la presse !)
Chez Christian Lacroix, on attend. On attend même un peu trop : une heure ! Une heure sur une chaise dorée c'est dur aux fesses et puis, tout va être fermé, ma bonne ! Mais on attend en tripotant l'illet emblème de Christian qu'on a trouvé sur l'assise. On attend dans cet espoir jamais déçu de voir, d'entrevoir les rêves et les chefs d'uvres constamment renouvelés de Lacroix. Toujours cet équilibre contrarié, ce défi à la pesanteur, ces rayures qui s'entrecroisent, ces audaces de mélanges, ces biais et ces droits fils qui ne devraient jamais se rencontrer et qui pourtant sont mariés pour le meilleur. Toutes ces femmes chiffonnées comme de précieux cadeaux sont au bord du génie. Ce n'est plus Christian, c'est Leonardo, ce n'est plus Lacroix, c'est Da Vinci.
Son inspiration m'a fait songer à un XVIIIe siècle que l'art moderne aurait métamorphosé. Un curieux et savant mélange. Une robe philosophale qui transforme le corps des femmes en objet d'art. Pas touche !, comme disait Arletty. Pas touche en effet, c'est trop précieux.
Et l'illet que j'ai trouvé sur ma chaise, que mes consurs envoient à la tête de Christian lorsqu'il vient saluer, comme le font les toréadors qui jettent une oreille de taureau à la belle de Cadix de service ? Je le garde cet illet et je le mets dans un petit vase devant la photo de mes parents qui m'ont si bien appris à apprécier la beauté et à dénoncer la laideur. Merci Christian.
La cour des grands
C'en est fait. Le bouche à oreille, la peur de passer à côté, le snobisme aussi, mais surtout le talent de Franck Sorbier ont fait de lui le couturier avec lequel il va falloir compter. En quatre collections, Franck Sorbier vient de jouer à la marelle dans la cour des grands. Plantons le décor : hôtel Meurice, sublime, redoré, recristallisé, retapissé, restucké, repeinturluré, relifté pour l'accueillir. Hordes de photographes déchaînés et parterre de cour : princesse Masha Magaloff, duchesse de Wurstemberg, princesse de la Rochefoucault, Mme Pinault, Josée Dayan, Robert Hossein, une réchappée de « Voici », Hermine de Puy-de-Dôme et...
Marie-Christiane Marek. Moi aussi, accessoirement.
Un flûtiste arrive et sort quelques sons de l'instrument appelant à un peu de silence. Et voici le premier modèle d'une collection n'en comptant que dix-huit.
Chaque passage est une petite histoire, depuis son nom jusqu'au détail. Une histoire pleine d'inventions et de trouvailles. C'est nouveau, et, n'ayons pas peur des mots, c'est même le nouveau new look. De « L'affaire du poison », perfide robe de bal en organza et ruban taffetas dégradé à « Alien », effroyable petite robe (c'est Franck Sorbier qui le dit) en boyau de crin noir, en passant par « Le viager » avec son bustier « Père Lachaise » réalisé en fleurs de perles comme les couronnes que l'on voyait autrefois sur les tombes et que des gens sans scrupule ont volé. Ce bustier, sur une jupe en mousseline à carreau ambré. Sans oublier le crin noir déboussolé, décoiffé, explosé, la dentelle bouillonné et le tulle écrasé... Tout cela avec amour, délicatesse, respect et artisanat. A suivre.
Le mouvement perpétuel
Un moment d'angoisse nous a saisi au passage du dernier modèle de la collection d' Yves Saint-Laurent. Pas de mariée ! Et, surtout, la bande sonore diffuse : « Embarquement immédiat pour le Maroc ». Et voici un mannequin qui
apparaît avec une valise et Saint-Laurent au bout. Cela voudrait-il nous mettre une puce à l'oreille et nous prévenir que le divin Yves prendrait sa retraite dans ses jardins de Majorelle ? Si c'est le cas, je me retire aussi car nous avons débuté ensemble. Et, surtout, que vont devenir ses clientes et les anciennes d'Hubert de Givenchy qui ne savent plus où aller ?
Si une femme entre dans un salon et qu'elle soulève un
murmure admiratif, c'est qu'elle est, n'en doutez pas, en Yves Saint-Laurent et cela que ce soit dans un modèle d'il y a dix ans, quinze ans, d'hier ou de ce matin. Elle est sublimement élégante, le même tailleur bien balancé, différent à un infini détail près, que seuls des yeux avertis peuvent déceler. Pour ce printemps, par exemple, la jupe sera juste sous le genou. Que c'est joli et quelle audace !
Oui, Yves Saint-Laurent, c'est l'éternel, c'est l'éternité, il est de tout temps, de toutes les époques et de toutes les situations. Il fait tout cela si bien qu'il va finir par se mordre la queue ce qui, pour un couturier, est un pléonasme !
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature