A PRES les gynécologues médicaux et les pédiatres libéraux, les ophtalmologistes tentent aujourd'hui d'attirer l'attention du grand public et des élus sur la « grave crise » démographique qui menace leur spécialité. Et surtout sur les problèmes de santé publique qui risquent d'en découler.
Selon le Syndicat national des ophtalmologistes français (SNOF), organisation à laquelle adhèrent 60 % des 5 300 médecins de la spécialité, la corrélation entre la pyramide des âges inquiétante des ophtalmologistes (voir encadré), le nombre probable des nouveaux diplômés à venir (de 50 à 60 par an par le biais de l'internat) et le vieillissement de la population générale qui entraîne une forte croissance de la demande de soins ophtalmologiques laisse même entrevoir une situation « catastrophique » à moyen terme. Entre 2015 et 2025, plus d'un ophtalmologiste sur deux cessera son activité, souligne le SNOF. Une étude récente du ministère de l'Emploi et de la Solidarité confirme que, en 2020, le nombre d'ophtalmos risque de chuter de 5 300 à un peu plus de 3 000 alors que, pour ne citer que cet exemple, le nombre d'opérations de la cataracte explose. Lorsque l'on sait qu'il faut près de quinze ans pour former un spécialiste après le bac, on mesure l'urgence du problème démographique posé.
Dans l'absolu, le SNOF estime qu'il faudrait « 200 nouveaux ophtalmos par an », formés par la seule filière de l'internat, pour stabiliser au moins les effectifs. En 2000, seulement 53 nouveaux diplômés sont sortis des facultés françaises par ce biais pendant que, de son côté, la Commission nationale de qualification en ophtalmologie autorisait 45 médecins à diplôme étranger à exercer dans cette spécialité. « Des médecins compétents mais sous-payés et exploités », déplore le Dr Jean-Luc Seegmuller, président du SNOF. Convaincu par la stratégie des gynécos et des pédiatres qui ont su prendre à témoin l'opinion publique, le syndicat a lancé en décembre dernier une pétition intitulée « Je veux voir mon ophtalmo ! », qui demande sobrement au gouvernement de former « davantage d'ophtalmologistes ». Ce texte, qui a déjà recueilli près de 50 000 signatures, insiste notamment sur les délais d'attente « intolérables qui mettent en danger la santé oculaire » des patients.
Les réponses des élus
Parallèlement, chaque député et chaque sénateur a été interpellé au début de février par le syndicat. Le Dr Jean Luc Seegmuller a demandé à tous les sénateurs de soutenir sa demande de « doubler, dans les trois ans qui viennent, le nombre de postes d'internes en ophtalmologie, c'est-à-dire pour la rentrée 2003 ». Cela porterait le nombre d'ophtalmos ainsi formés à près de 120 par an environ, ce qui serait déjà un progrès (1). Soixante-dix élus ont pour l'instant répondu à cette initiative (2). Robert Hue est, affirme-t-il, « intervenu » auprès de Bernard Kouchner. Mieux, André Santini (UDF, Hauts-de-Seine) est « immédiatement intervenu ». Le sénateur Lucien Neuwirth (RPR, Loire) observe, pour sa part, que cette situation de déficit des effectifs « n'est pas propre » à l'ophtalmologie, mais déclare qu'il « veille » à ce que les choses puissent « se décanter ». François Fillon (RPR, Sarthe) rappelle que, en tant que ministre de l'Enseignement supérieur en 1993, il avait défendu « sans succès » l'augmentation du numerus clausus. Il estime qu'il faut revoir « de façon radicale » l'approche de la formation des futurs médecins. Certaines réponses sont empreintes d'ironie. « Si le ministre ne peut résoudre ce problème simple mais existentiel, à quoi sert-il ? », s'interroge Jean-Luc Préel (UDF, Vendée). Très récemment enfin, le député (DL) de la Sarthe, Pierre Hellier, a posé une question écrite à Bernard Kouchner pour que 200 spécialistes en ophtalmologie soient formés chaque année de façon à « garantir la santé visuelle des Français ». Six autres questions au gouvernement (quatre écrites et deux orales) sont déjà dans les cartons en vue de la prochaine session parlementaire. « Les ténors de la santé sont mobilisés », se réjouit le président du SNOF.
Car c'est bien de la santé visuelle dont il s'agit. « L'examen de la vue du nourrisson, au 9e mois de son existence, n'est pas réalisé, malgré la rubrique prévue par la loi dans le carnet de santé, déplore le Dr Seegmuller. Plus de la moitié des diabétiques n'e sont pas suivis sur le plan ophtalmologique comme il conviendrait. La moitié des malades atteints de glaucome (500 000 ne seraient pas dépistés) évoluent sans le savoir vers la cécité, faute d'être traités. Quant à la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA), elle touche de plus en plus de gens car la durée de vie s'allonge d'année en année : au-delà de 70 ans, c'est plus du tiers des Français qui sont atteints par la maladie. »
Un sombre tableau qui était pourtant prévisible. « Notre organisation fait des études sur la population des ophtalmos depuis 1907, observe le Dr Seegmuller. Peut-être que, cette fois, on va nous écouter... » A l'issue du Grenelle de la santé, Elisabeth Guigou avait annoncé, pour la fin du mois de mars, les conclusions d'un groupe de travail, impliquant la CNAM, sur la démographie médicale. Concernera-t-il aussi l'ophtalmologie ? A voir.
(1) A l'heure actuelle, le gouvernement ne fixe pas pour l'ophtalmologie un nombre de postes d'internes précis, contrairement à ce qu'il fait pour d'autres spécialités (anesthésie réanimation, pédiatrie, gynécologie-obstétrique). L'ophtalmologie est, en effet, noyée dans le grand ensemble des spécialités chirurgicales et le nombre d'internes formés dépend des postes disponibles dans les hôpitaux.
(2) La totalité des réponses sont disponibles sur le site Internet : http://www.noselus.com
Une spécialité plus âgée et plus féminisée que la moyenne
La situation démographique de l'ophtalmologie est d'autant plus préoccupante que son taux de féminisation (43 %) y est plus élevé que dans l'ensemble des spécialités (35 % seulement). Or, selon l'Ordre des médecins, « l'activité médicale des femmes est en général inférieure de 25 % à celle des hommes, en raison de la nécessité de conjuguer activité professionnelle et tâches familiales ». Par ailleurs, la moyenne d'âge de la discipline (46 ans) est également supérieure à celle de l'ensemble des spécialités (41 ans), ce qui met en évidence le vieillissement démographique qui caractérise l'ophtalmologie : près d'un tiers des ophtalmos ont aujourd'hui plus de 50 ans, 34 % ont entre 34 et 49 ans et à peine 6 % ont moins de 35 ans. Quant à la répartition des ophtalmologues sur le territoire, elle est extrêmement inégale, avec une très nette prédominance au sud et en région parisienne. Ainsi, quand Paris compte plus de 25 ophtalmos pour 100 000 habitants, la densité n'est que de 2,7 en Lozère.
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