Le Pr Frydman mène l'offensive pour une nouvelle politique contre l'infertilité

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Publié le 17/03/2016
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Crédit photo : S. TOUBON

« Nous médecins, biologistes, reconnaissons avoir aidé, accompagné certains couples ou femmes célibataires dans leur projet d’enfant dont la réalisation n’est pas possible en France ». Le Pr René Frydman et plus de 160 autres médecins et biologistes de la reproduction introduisent ainsi leur manifeste. Un document collectif qui dénonce les incohérences de la législation française relatives à la limitation du don d'ovocytes et de leur autoconservation, l'interdiction du don de sperme pour les femmes célibataires et la restriction du diagnostic préimplantatoire. Il s'en explique au « Quotidien ».

LE QUOTIDIEN : Vous militez depuis un certain temps pour une évolution de la législation française en matière de lutte contre l'infertilité, pourquoi avoir décidé aujourd'hui la publication de ce manifeste ? 

Pr FRYDMAN : C'est tout simplement un effet de ras-le-bol et d'accumulation face à la souffrance des patientes que nous recevons en consultation et à notre difficulté à trouver des solutions à leurs problèmes en France. Je pense, par exemple, à cette femme que j'ai dû récemment envoyer en Angleterre pour pouvoir réaliser un diagnostic génétique préimplantatoire, actuellement interdit en France, s'il n’y a pas d'identification de facteur de risque. Résultat : sur 11 embryons obtenus, 10 comportaient une anomalie génétique. Ce qu'elle n'aurait pu savoir ici qu'une fois enceinte. Aujourd’hui, la trisomie 21 n’est pas dépistée en cas de fécondation in vitro ! Je pense aussi à ces patientes d'une trentaine d'années qui n'ont pas encore construit de vie familiale mais qui conservent le souhait de pouvoir le faire un jour. Le gouvernement a certes fait une avancée en octobre 2015 en autorisant les femmes nullipares à conserver une partie de leurs ovocytes, mais dans le cas où elles effectuent un don. La loi reste injuste. Quels arguments a-t-on pour s'opposer au fait qu'une femme veuille conserver ses ovocytes, alors que la conservation du sperme est autorisée sans restriction ?

Qu'attendez-vous précisément des autorités de santé ?

Il est urgent que les autorités de tutelle prennent en compte la réalité sur le plan scientifique et de la pratique médicale. Nous appelons à mettre en place un plan national contre l'infertilité, comme il en existe un contre le cancer du sein, de l'utérus ou du cancer colorectal. Un plan qui accorde une place importante à l'information. Il faut mettre sur pied des campagnes qui sensibilisent sur le rôle de l'âge dans la baisse de la fertilité. Alors que les médias imprègnent l'idée que l'on peut devenir mère sans problème jusqu'à 45 ans. On compte aujourd'hui environ 80 000 ponctions d'ovocytes par an, contre 60 000 il y a quelques années. En grande partie du fait de projets de grossesse tardive. Parallèlement, le système en vigueur dans notre pays ne permet pas de répondre à la demande en termes de dons d'ovocytes et incite les couples à se tourner vers l’Espagne ou autre destination où le don d'ovocytes est commercialisé. Nous regrettons que la totalité des mesures qui permettraient de développer le don d’ovocytes en France ne soient pas prises. Il faudrait pour cela former le personnel de santé (sages-femmes) dans les centres de procréation pour sensibiliser les femmes au don et les accompagner dans leur démarche. Nous sommes contre la rémunération du don, nous pensons qu'un système d'indemnisation fixé par l'État comme c'est le cas au Royaume-Uni pourrait être une solution juste. Car c'est une démarche contraignante pour les donneuses tant sur le plan physique que de l'organisation.

Invitez-vous la France à s'aligner pour cela sur certains pays européens ?

Non parce qu'il n'y a pas de pays exemplaire à ce point de vue. Mais il y a des exemples à suivre. Nous ne sommes pas favorables à la gestation pour autrui (GPA) en l'occurrence, car nous sommes opposés par principe à toute forme « d'utilisation » du corps d'une femme, même sans contrepartie financière. La France doit pouvoir construire son propre modèle avec ses atouts et son système de valeurs. La France est le seul pays européen dans lequel jusqu'à quatre tentatives de FIV sont remboursées par l'assurance sociale. C'est aussi un pays remarquable par la vigilance de ses comités d'éthique.

Propos recueillis par Betty Mamane

Source : lequotidiendumedecin.fr