L' EUROPE est désemparée. Et comment ne le serait-elle pas avec deux crises agricoles cumulées, la vache folle et la fièvre aphteuse ? Elle doute d'elle-même. Les Européens se demandent si l'étendue des deux épidémies n'est pas la conséquence directe des méthodes productivistes préconisées pendant trente ans par la Commission de Bruxelles.
En même temps, la construction européenne stagne. Les divergences franco-allemandes ont abouti au traité de Nice que seuls ses signataires jugent utile et prometteur. Les Anglais continuent à faire cavalier seul, ce qui permet à Tony Blair de se faire l'avocat de l'euro alors que le Royaume-Uni n'a pas rejoint l'Union monétaire. L'Europe manque d'un leadership fort, comme si François Mitterrand et Helmut Kohl étaient irremplaçables. L'Europe prend du retard alors que les échéances se précisent et se bousculent.
Force d'intervention. Les Européens se sont mis d'accord pour mettre sur pied une force d'intervention rapide de 60 000 hommes. Elle est indispensable pour les conflits régionaux. L'action de l'OTAN au Kosovo a en effet démontré que, sans la logistique américaine, les forces européennes seules ne peuvent pas pacifier une région en conflit. Or l'armée européenne doit être créée rapidement parce que la nouvelle administration américaine menace de retirer ses troupes de Bosnie et, plus tard, du Kosovo. Tous les avis convergent pour dire qu'un départ de l'OTAN se traduirait dans les deux pays par un bain de sang.
L'absence de politique commune. Politiquement, l'Europe n'est pas davantage équipée pour face à politique extérieure de George W. Bush, lequel envoie aux Européens des signes contradictoires qui doivent être éclaircis et entraîner une attitude adaptée des Européens : M. Bush estime qu'une force européenne n'est pas incompatible avec l'OTAN. Mais il n'entend pas affaiblir la position des Etats-Unis au sein du Pacte atlantique. Si les Européens veulent jouer un rôle plus actif dans la stabilité politique de l'Europe, notamment à l'est de la frontière des Quinze, ils doivent faire les sacrifices budgétaires nécessaires pour constituer, aussi rapidement que possible, une force militaire capable d'éteindre les conflits ethniques en un temps record. C'est à ce prix qu'ils parviendront progressivement à équilibre les influences européenne et américaine.
La défense antimissiles. Le président Bush a confirmé son projet de bouclier antimissiles, qui a déjà soulevé des réactions négatives en Europe de l'Ouest et en Russie. Vladimir Poutine a fait des contre-propositions susceptibles d'amorcer un dialogue entre Moscou et Washington. En tout cas, l'hostilité de principe des Russes a cédé la place à la discussion. Il est vrai que M. Bush est encore incapable de dire si son projet est technologiquement et financièrement viable. Ce qui fait que les tractations entre les Américains et les Européens ne portent sur rien de vraiment concret. Les Russes, qui admettent qu'un danger réel existe avec les pays intégristes ou staliniens qui veulent disposer de l'arme nucléaire, proposent d'abriter les Etats-Unis, la Russie et l'Europe sous le même parapluie. Les Quinze sont terrifiés par le coût du projet et souhaiteraient qu'on y renonce purement et simplement. Mais la question n'est pas de savoir s'il faut le réaliser ou non ; elle est de savoir s'il faut laisser les Etats-Unis uvrer pour leur propre compte ou s'associer à eux. Fort heureusement, le problème ne se pose qu'à long terme. Les essais de missiles antimissiles conduits sous la présidence Clinton ont tous échoué et il faut d'abord que les Américains prouvent la faisabilité du projet avant d'inquiéter leurs alliés.
La politique irakienne des Etats-Unis laisse les Européens perplexes. La France a dénoncé les bombardements de sites irakiens par l'aviation anglo-américaine. M. Bush a reconnu que ces bombardements ne changent rien au problème posé par l'Irak, qu'ils n'empêchent pas Saddam Hussein de construire des armes de destruction massive et qu'ils aggravent le sort de la population irakienne.
Jusqu'à présent, les efforts entrepris par les Etats-Unis pour créer une opposition irakienne capable d'arracher le pouvoir des mains de Saddam Hussein ont été vains. La France souhaite la fin de l'embargo et considère le président irakien comme un mal inévitable avec lequel il est préférable de composer. Mais il n'y a pas de politique européenne pour l'Irak. Si l'aviation britannique participe aux bombardements, Tony Blair n'en a pas moins exprimé son malaise à George W. Bush : il cherche, lui aussi, une alternative.
L'absence de diplomatie européenne. M. Bush serait sensible aux arguments européens pour peu qu'ils soient exposés dans le cadre d'une diplomatie arrêtée en commun. Dans ce domaine aussi, le déficit d'unité est inquiétant, alors que l'occasion existe d'imposer des idées que la France défend depuis quelques années. Les Européens n'ont pas d'excuse pour leur absence de cohésion, sinon que la crise de leur agriculture occupe toutes leurs pensées, surtout en Grande-Bretagne. Il est clair pourtant que M. Bush se cherche, qu'il n'est pas fermé aux idées extérieures à son administration et que, ne serait-ce que pour alléger les responsabilités américaines, il est prêt à les partager avec les Européens.
Les insuffisances de la BCE. Enfin, la mise en place, dans moins de dix mois, de la monnaie commune européenne représente une chance que les Européens ne doivent pas gâcher. L'euro remontera obligatoirement quand il sera la monnaie unique que 375 millions d'Européens utiliseront pour faire leurs emplettes, quand il aura une vie concrète, quand il sera dans toutes les poches. En dépit des difficultés de compte qu'il imposera aux citoyens européens, des erreurs auxquelles il conduira fatalement, il fouettera l'économie des Quinze. Les Américains ne seront pas indifférents à cette montée en puissance, ils auront trop peur de rater le coche, ils achèteront de l'euro et feront des investissements en Europe.
En tout cas, pour la monnaie unique, ce sera l'heure de vérité. Jusqu'à présent, on n'a pas eu l'impression que la Banque centrale européenne était dirigée d'une main ferme, ou qu'elle était même consciente de la force qu'elle représente.
A la BCE, comme à Bruxelles, le manque d'autorité et de dynamisme politiques, le malaise causé par les crises agricoles et par le sentiment que les technocrates européens ont leur part de responsabilité dans la faillite des méthodes intensives de culture et d'élevage, sont autant de freins à la construction européenne, laquelle n'est plus seulement souhaitable, mais indispensable.
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