Les adolescents « gothiques » plus vulnérables à la dépression

Publié le 28/08/2015

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Dans leur chanson « Cure Toujours », les Fatal Picards évoquent avec humour la tristesse forcée dans laquelle se complaisent les adolescents qui adoptent le style gothique : habits noirs, maquillage noir et blanc, et goût pour la musique métal. Derrière cette pantalonnade musicale se cache pourtant une réalité : « Il y a incontestablement, chez ceux qui adoptent les costumes et les rites, une surreprésentation des troubles de la personnalité », et donc un risque de décompensation dépressive plus important, explique le Pr Maurice Corcos, qui dirige le département de psychiatrie de l’adolescent et des jeunes adultes de l’Institut mutualiste Montsouris. « Les épisodes dépressifs sont présents chez 90 % des patients borderline, et les automutilations chez 15 % d’entre eux », poursuit ce praticien qui étudie les troubles de la personnalité borderline au sein de son unité INSERM.

Cette association entre appartenance à la mouvance gothique et dépression de l’adolescent, déjà bien connue des spécialistes, vient d’être confirmée par les résultats d’une étude britannique, parue dans le « Lancet Psychiatry ». Plus précisément, les auteurs montrent que les adolescents qui s’identifiaient fortement à la culture gothique à l’âge de 15 ans avaient environ trois fois plus de risque d’être dépressif à l’âge de 18 ans que les autres.

Skateurs, gothiques et bimbos

Les auteurs ont puisé dans les données de l’Avon Longitudinal Study of Parents and Children, une étude de cohorte britannique incluant plus de 14 000 femmes ayant accouché entre 1991 et 1992, ainsi que leurs enfants. Les enfants ont été examinés aux âges de 7, 15 et 18 ans. À 15 ans, les enfants devaient dire à quel groupe social ils s’identifiaient (« skateurs », « sportifs », « populaire », « solitaires », « bimbos », « gothiques »…). À 18 ans, les chercheurs ont objectivé les tendances dépressives et automutilations grâce au questionnaire d’évaluation du développement et du bien-être (EDBE).

Au total, 5 357 participants s’identifiaient à la culture gothique. À 18 ans, la dépression était 1,6 fois plus fréquente chez ces patients et 3,67 fois plus fréquente dans la sous-catégorie qui revendiquait le plus fortement son appartenance à cette culture. Par ailleurs, la pratique de l’automutilation était cinq fois plus fréquente chez les jeunes gothiques que chez les autres jeunes.

L’appartenance à la mouvance gothique est donc un facteur prédictif fort d’automutilation et de dépression, même en prenant en compte les facteurs individuels, familiaux ou sociaux traditionnellement associés à la dépression et à l’automutilation, comme les difficultés comportementales, les troubles psychiatriques ou encore les problèmes de santé des parents.

Un énorme appétit de vivre

« Notre étude ne montre pas que le fait d’être gothique soit une des causes la dépression de l’adolescent ou de l’automutilation, mais plutôt que certains jeunes gothiques sont plus susceptibles de développer ce genre de pathologie », explique le premier auteur, le Dr Lucy Bowes de l’université d’Oxford. Les auteurs supposent que l’appartenance à la mouvance gothique peut au contraire fournir un refuge compréhensif pour les jeunes qui ne se conforment pas aux normes sociales. « Ils forment un groupe et se tiennent au chaud, complète le Pr Corcos, ils se forgent une identité collective et veulent être vus. S’ils le font de manière aussi démonstrative, c’est qu’ils ont le sentiment d’être transparents. »

« La sous-culture gothique est une défense contre la maladie pour ces jeunes, poursuit-il, il y a une suraffirmation virile par le blouson, le cuir et une tension violente. » L’imagerie morbide et violente véhiculée par la culture gothique pourrait-elle servir de catalyseur au mal-être de ces adolescents ? « Je ne le pense pas, répond le Pr Corcos. Paradoxalement, la culture gothique, très centrée sur la mort, est un témoignage d’un immense appétit de vivre qui ne s’exprime pas autrement que par son envers. Derrière cette démonstration monstrueuse, il y a un adolescent normal qu’il faut aller rencontrer en associant les parents, et sans porter de jugement sur ses oripeaux. »

Pour approfondir le sujet, le Pr Corcos et son équipe ont produit deux ouvrages sur les troubles de la personnalité de l’adolescent : « Troubles de la personnalité borderline à l’adolescence » et « la terreur d’exister », tous les deux aux éditions Dunod.
Damien Coulomb

Source : lequotidiendumedecin.fr