Si l'enjeu économique est clair…

Les biosimilaires restent des médicaments mal connus

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Publié le 24/10/2016
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Crédit photo : PHANIE

Pour le Pr Jean Sibilia, chef du service de rhumatologie du CHU de Strasbourg, « l'enjeu des médicament biosimilaires est économique, tout le monde est clair là-dessus ». Mais il souligne que « cela ne veut pas dire que tout le monde est complètement à l'aise avec ça. Que soit les médecins ou les patients, ils ont l'impression qu'on veut faire des économies pour faire des économies ».

Selon lui, les obstacles au développement des biosimilaires se situent à cinq niveaux. « Il y a tout d'abord des freins au niveau du médecin expert, qui connaît les biosimilaires. Il sait que c'est la même efficacité, la même immunogénicité et la même tolérance, qui peuvent varier d'un lot à l'autre, comme pour les lots de princeps. Le seul frein pour lui peut être l'attachement au princeps. » En revanche, le frein est plus important au niveau du médecin non expert, du fait de sa méconnaissance du médicament. « Elle rend prudent voire méfiant, affirme le Pr Sibilia. Pour beaucoup de médecins, biosimilaire égale générique, alors qu'il y a en France une image du générique qui n'est pas forcément bonne. Il y a un défaut de formation sur les biosimilaires, de l'étudiant en médecine jusqu'au jeune médecin. »

Méconnaissance à tous les niveaux

Cette méconnaissance concerne aussi les pharmaciens, comme le souligne François Bocquet, pharmacien hospitalier à l'AP-HP et AHU à l'Agence générale des équipements et produits de santé (AGEPS). « En ville, les officinaux ne connaissent pas les biosimilaires. » En revanche, les pharmaciens hospitaliers ont été assez vite mobilisés sur ce sujet. « Ils ont essuyé les plâtres, reconnaît François Bocquet. Il a fallu définir les modalités d'évaluation de ces produits et se réunir avec les médecins pour définir un cahier des charges. Certains établissements ont fait le choix du tout biosimilaire et d'autres non. »

Il note que l'économie liée à l'introduction de l'infliximab a permis à l'AP-HP de faire 6 millions d'euros d'économies. Néanmoins, le patient peut être réticent au changement de son médicament. Pour le Pr Sibilia, « il faut donner le même niveau d'information sur le biosimilaire et sur le princeps. Car si on sur-informe le patient, il se méfie ! D'ailleurs, le terme de « biosimilaire » est mal choisi, car le malade a l'impression qu'on va lui donner un médicament au rabais ». Le spécialiste pointe aussi les difficultés de l'interchangeabilité. « Le patient se demande pourquoi on lui change son traitement alors qu'il a déjà une molécule qui marche ! » « La prise de position de l'ANSM, qui a introduit le terme « interchangeabilité », brouille le message », confirme François Bocquet. Il estime toutefois que « c'était un préalable nécessaire pour faire un article dans la loi de financement de la Sécurité sociale. La balle est dans le camp du ministère ».

Absence de clarté

Le quatrième frein, selon le Pr Sibilia, est celui qui subsiste au niveau des institutions payantes. « Le problème, c'est qu'il n'y a pas de message clair, relève-t-il. Il n'y a pas assez de courage décisionnel. » « Nous attendons une prise de position politique », renchérit François Bocquet, qui remarque qu'« il y a des choses dans les tuyaux avec le PLFSS 2017 ». Pour lui, « laisser de côté les pharmaciens d'officine est une grosse erreur ». Il craint que « cette absence de clarté conduise à la défiance et qu'on en arrive à un marché qui ne décolle pas ».

Enfin, le Pr Sibilia identifie un dernier frein au niveau de l'industrie pharmaceutique. « C'est complexe car beaucoup d'industriels de princeps ont des branches de biosimilaires. Ils essaient de jouer sur les deux tableaux, ce qui peut poser des problèmes. » « Le fait de copier des molécules déjà obsolètes, notamment en cancérologie, est pour moi un frein majeur, au-delà de la défiance et du manque d'information », ajoute François Bocquet. Par ailleurs, il note que les laboratoires « sont prêts à brader leur princeps, ce qui ne favorisera pas l'arrivée sur le marché des biosimilaires. »

De leur côté, les industriels réclament « une meilleure visibilité des politiques de prix des biosimilaires en France. Le modèle doit être un modèle pérenne, pour que nous maintenions nos investissements dans le développement des biosimilaires », plaide Christophe Delenta, président Sandoz France. Les associations de patients, quant à elles, jouent la carte de l'apaisement. « Pour nous, il ne doit pas y avoir de « problème biosimilaire », insiste Alain Olympie, directeur de l’Association François Aupetit (afa). Nous avons un petit film sur notre site pour rassurer le patient. L'économie réalisée grâce aux biosimilaires nous permettra de nous battre sur des remboursements de médicaments non remboursés pour l'instant », conclut-il.

A.-G. M.

Source : Le Quotidien du médecin: 9528