Quelle lecture attachante que celle du livre du docteur Paul Chatinières, « Dans le Grand Atlas Marocain », (Plon-Nourrit, éd.), extraits de son carnet de route de médecin d’assistance indigène, depuis 1912, année de l’insurrection de Fez, jusqu’en 1916 où il fut envoyé sur le front allemand.
On ne s’intéresse jamais trop au rôle si important dévolu au médecin dans nos colonies et à « l’aide que celui-ci peut apporter à la pacification d’un pays ». C’est en ces termes que s’exprime une élogieuse lettre-préface du général Lyautey au livre qui nous occupe.
Ce rôle était rendu plus passionnant encore au Dr Chatinières par l’attrait merveilleux de la zone d’action qui lui avait été désignée : au sud et à l’est de Marrakech le Grand Atlas majestueux et ses étranges neiges africaines au bord desquelles, jusqu’à 2 500 mètres d’altitude, de fiers villages groupés autour du château fort du caïd ont défié à travers les siècles toutes les invasions, toutes les influences, ont perpétué, à peine modifiées, les coutumes et les attitudes physiques, morales, sociales qu’on lit dans la Bible, et intact le régime féodal des premiers temps de notre Moyen-Âge.
Ces régions sont habitées par la population autochtone, les « Chelleuh », montagnards guerriers, pillards, mais si nobles dans leur culte farouche de l’indépendance, l’austère rudesse de leur vie, la patriarcale unité de leurs tribus, grandes familles élargies.
Qui donc, mieux que le « toubib » peut se faire ouvrir ces âmes primitives qui hermétisent au moindre contact étranger et apaiser leurs violents réflexes contre la civilisation que le Français vient leur imposer. Et, si ce n’était le Français, ce serait un autre ; ils perdraient certes au change !
Tâche utile, tâche unique, tâche émouvante aussi que celle de ces apôtres de notre protectorat : car, souvent, le charme fatal de l’Orient prodigieux les gagne et la griserie de cette « joie, de cette liberté qu’est l’Atlas ! ». C’est alors, pour la vie entière, lorsqu’il faut quitter ces pays, la douleur intérieure des nostalgies inguérissables.
Le Dr Chatinières les éprouve certainement, et nous les ressentons nous-même un peu en le lisant. Ce n’est pas le moindre attrait de son livre, par ailleurs écrit clairement, simplement, sans recherche, sans hypertrophie du moi, mais dans un sentiment constant d’amour de la nature, de beauté et de noblesse.
Avec « Un groupe de 75 » (1er août 1914-13 mai 1915), journal du Dr Gaston Tor, aide-major du 27e d’artillerie (Plon-Nourrit, éd.), nous sommes chez les « civilisés ».
On s’en aperçoit aux tueries plus méthodiques, aux souffrances portées à leur paroxysme, à la « blague » héroïque » qui tient lieu de fatalisme oriental. Et l’esclave est remplacé par le fantassin, bête de somme accablée, martyr des martyrs, mais roi des batailles !
Cependant, à l distribution des mauvais coups, les artilleurs ne sont pas oubliés, et lorsqu’ils « trinquent », c’est pour de bon ! Le Dr Tor nous en donne quelques exemples.
Son récit, sans prétentions littéraires, a toute la vie d’un journal écrit sur un caisson, sous l’impression quotidienne des événements. Les situations d’épopée et les mots historiques y sont nombreux, celui-ci par exemple, cueilli au cours de la Grande Retraite :
« Eh ! Fantassin, qué » qu’tu fais ? »
Et l’autre de répliquer, avec un sourire entendu :
« Bah ! Je me replie. »
L’auteur, qui lit beaucoup René Bazin, attribue au réveil de la religion une grande part du beau moral de l’armée, et il regrette que le troupier français n’ait pas été pourvu, comme l’Anglais ou l’Allemand, d’un livre de prières réglementaires.
« Le Décalogue forme la barrière entre la barbarie et la civilisation », dit-il Et il ajoute que le Décalogue protégeant le soldat de la luxure, l’aurait également protégé de ce que vous savez…
Mais la guerre est finie, du moins nous l’espérons. Il faut maintenant beaucoup d’enfants pour combler les vides. M. Edmond Cazal, dans « L’Inféconde », roman (Ollendorff éd.) pose la question d’un retour à la loi romaine de la répudiation de l’épouse sans maternité.
C’est le cas de Lucile Rolland, stérile à la suite d’un accident, et qui, tout en aimant son mari, ne « comprend pas », pour son malheur, « l’importance du propriétaire-député qu’il est ! ». Lui en aime une autre, une jeune fille au physique de belle poulinière. Il propose alors et fait voter au Parlement une loi élargissant le divorce au cas d’infécondité avérée !
Aimables clientes, n’épousez jamais un parlementaire !
La question est intéressante et prête à belle discussion. Le point de vue national , le point de vue social ! M. Cazal nous le présente un peu trop au point de vue conservation de la race des propriétaires-députés. « Au surplus, c’est qu’il n’aimait pas sa femme, ce député, voilà tout », me dit ma cliente.
Un qui n’aimait ni sa femme, ni celle des autres, ni rien au monde, c’était le baron Moïse, ce personnage de l’un des petits contes philosophiques de M. Georges Clemenceau qui viennent d’être réunis en volume sous le titre de « Au pied du Sinaï » (Crès éd.). Trop riche, et ignorant l’art de donner, le baron se résout à jeûner en cachette pour connaître la faim et au moins un désir, celui de manger ! Il se sauve alors de chez lui pour mendier et, comme on le repousse, il vole le petit pain traditionnel. À ce moment, il comprend la charité. Trop tard ! Il meurt d’épuisement… D’autres histoires narquoises, et un tantinet bolchevistes, composent ce recueil dont le titre est lui-même une attrape. Car si les personnages sont des Juifs et, surtout, des Galiciens, étonnants de pittoresque, leur âme et leurs aventures sont de toutes les religions, de toutes les races, de toutes les humanités. C’est, je crois bien, la morale qu’a voulu dégager l’auteur.
Quittons Clemenceau, homme de plume, pour le retrouver homme politique sous les griffes de Laurent Tailhade, dans « Les Lettres familières » de ce dernier, nouvelle série (Ollendorff, éd.), galerie de portraits qui avaient paru dans la presse du vivant de l’auteur. Jeu de massacre plutôt où, à côté du Tigre, Jean Richepin, Constantin de grèce, Wilhelm II, les Jésuites, le propriétaire du bar de « chez Maxim’s », M. Ribot, et quelques autres « encaissnt » copieusement.
Quelques autels cependant, couverts de fleurs, pour Kerinsky, M. Painlevé et le Dr Maurice Boigey dont on connaît la belle « Introduction à la médecine des passions ».
Prince de l’invective, et souverain du verbe, le styliste cruel s’attaque aussi au pape Benoït XV, et là se surpasse lui-même. Toute question d’opinion à part, ce dernier pamphlet est d’un maître qui écrit une bien belle prose :
« Ah ! Si la crosse en main, et les trois couronnes au front, tel qu’un juge suprême, à la fois terrible et miséricordieux, vous eussiez fait gronder sur la mêlée où s’acharne l’Occident, la voix séculaire de la papauté… ».
(Dr Duverney, « La Gazette Médicale du Centre, mai 1920)
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