LA SANTE EN LIBRAIRIE
L A couverture du livre de Franck Garden-Brèche et Jacques Rouillier ne laisse aucun doute : c'est bien dans un service d'urgences que le lecteur va vivre, pendant 275 pages. Dans un couloir d'hôpital, une équipe vue de dos se précipite autour d'un brancard, dans un flou moins artistique que mouvementé.
En avant-propos, un avertissement : tout est vrai, même si les noms des personnes et des lieux ont été travestis. La préface, signée du chef de service des urgences de l'Hôpital américain de Paris, insiste encore sur le réalisme de ce qui va suivre, note que « tous, un jour ou l'autre, nous pousserons ces portes (d'un service d'urgences), avec plus ou moins d'angoisse, de crainte,de peur ou de douleurs » et promet au lecteur la découverte de « la vie d'un service d'urgences, la vie des services d'urgences et les vies des services d'urgences ».
La première fois
La promesse est tenue : on plonge d'emblée dans « la vie d'un service d'urgences ». C'est sur une route mouillée, dans un concert de klaxons, que Franck nous fait partager les angoisses de sa « première intervention comme médecin responsable » auprès d'une jeune fille accidentée, aussi affolée à l'idée d'une piqûre que par la fracture ouverte de sa jambe. Et c'est le récit du sauvetage, suivi de « la mort inexorable » d'une autre jeune fille, tombée dans des rochers, qui montrera ensuite la face la plus sombre des urgences. Le lecteur passera aussi beaucoup de temps dans le service d'urgences d'un hôpital de ville de bord de mer, pour y voir défiler tous les types de problèmes, de la suture banale à la tentative de suicide, de l'hospitalisation en urgence d'une grand-mère dont les enfants partent en vacances à l'infarctus du myocarde, de l'appendicite finalement opérée en clinique à la femme battue...
Le défilé, impressionnant, devrait satisfaire les amateurs de la série « Urgences » : grands et petits sauvetages, petits et grands drames, cas simples et cas compliqués, sang et larmes, tous les ingrédients sont là. Et puis bien sûr, « les vies des services d'urgences » ajoutent leur touche personnelle au tableau. De nos deux auteurs et héros, l'aîné « a dû tomber dans la médecine » quand il était petit, est vite tombé dans l'urgence et compte bien y rester ; le plus jeune, arrivé en médecine par hasard plus que par conviction, ne rêve que médecine générale et relation humaine. Autour d'eux, s'agitent comme il se doit quelques médecins, internes, spécialistes, infirmières, surveillante, dont les relations ne sont pas toujours idylliques. Des pompiers, des policiers, traversent par instants le décor, surtout envahi par les patients et leur entourage, les personnages les plus amusants pour le lecteur n'étant pas forcément les plus faciles à aborder ou à traiter pour les médecins.
L'ensemble ferait déjà un livre distrayant pour les amateurs d'histoires et de milieu médical. Mais pour reprendre les termes du Dr Benoît Papon, préfacier de l'ouvrage, il reste « la vie des services d'urgences », largement commentée par les auteurs, et de la façon la plus spontanée. Ils posent ainsi bien des questions, sans toujours y répondre : faut-il par exemple opter pour la théorie française de l'urgence, soit « la prise en charge médicalisée sur les lieux mêmes du problème », ou pour la théorie américaine, soit le transport en urgence vers l'hôpital ?
Les défaillances du système
Il est inutile en revanche de chercher une réponse à la question de l'attente dont se plaignent tant d'usagers des urgences hospitalières. Il suffit de lire deux chapitres : dans l'un, le récit imaginaire du séjour en service d'urgences d'un « trauma crânien » sans gravité, dans l'autre, le récit de 24 heures de garde d'urgences, devraient convaincre sans peine le lecteur de ne pas se plaindre à son prochain passage dans un tel service. Il est clair que « la réalité de l'urgence prime absolument sur l'ordre d'arrivée », et peut-être plus encore parce que le personnel est le plus souvent insuffisant en nombre. Les deux auteurs parlent d'ailleurs très simplement des défaillances d'un système qui oblige les futurs médecins à un « bachotage intensif », parfois d'une « inutilité grotesque », qui autorise « la nocivité... d'arrivistes de tout poil, de petits médecins méprisants avec leurs patients et suffisants avec leurs étudiants, de comportements inadmissibles sur le plan humain et pourtant si couramment tolérés ».
Au fil des pages, on rencontre aussi les absurdités du dossier médical toujours non informatisé, l'organisation des plannings qui voue à l'épuisement la plupart des urgentistes, les problèmes de matériel déficient, l'absence de formation à la relation pour des médecins appelés à rencontrer des souffrances majeures, la place prise par la nécessité de se « couvrir » médico-légalement, l'ignorance relative des médecins en matière psychiatrique...
Lecture obligatoire
Malgré tout, malgré la rémunération qui jure avec la longueur des études, l'intensité du travail et les responsabilités, les auteurs sont l'un et l'autre passionnés par leur métier : Jacques, qui a effectué un court passage par le journalisme avant de reprendre ses études de médecine, sera décidément généraliste, sans illusions pourtant sur ce qui l'attend. Il restera dans « le même bateau » que Franck, qui a besoin de sa « dose quotidienne de stress » et d'urgences. Dans le même bateau aussi que ces « lecteurs-médecins » auxquels les auteurs s'adressent en post-scriptum, à la fois pour leur dire leur compréhension et les convaincre d'entretenir de bonnes relations avec les services d'urgences, en particulier au travers de courriers lisibles et utiles. Quant au préfacier, il trouverait souhaitable que ces « Etats d'urgences » deviennent lecture « obligatoire pour tous ceux qui se destinent à une carrière dans la santé publique », recommandée aux étudiants en médecine, vitale pour les urgentistes. Sera-t-elle aussi source de vocations nouvelles ? Il l'espère en tout cas.
« Etats d'urgences », Franck Garden-Brèche, Jacques Rouillier, Belfond, 274 pages, 109 F (16,62 euros).
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